
Jean-Pierre Bibring : pionnier de l’exploration spatiale
Jean-Pierre Bibring est professeur émérite à l’université Paris-Saclay et astrophysicien à l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS – Univ. Paris-Saclay/CNRS). Spécialiste de l’étude des objets du système solaire et de la conception d’instruments embarqués pour les missions spatiales, il a notamment été responsable de plusieurs expériences à bord de missions d’exploration de Mars, d’astéroïdes et de comètes. Vulgarisateur de renom, il est également auteur d’ouvrages à destination du grand public.
Originaire de Paris, Jean-Pierre Bibring suit un parcours académique classique et s’engage, après son baccalauréat, en classes préparatoires scientifiques. En 1968, il ne donne pas suite à son recrutement dans plusieurs « grandes écoles », pourtant de renom. Bénéficiaire des Instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES) par admissibilité à l’École normale supérieure (ENS), il choisit finalement d’étudier la physique à la Faculté des sciences d’Orsay. Durant sa maîtrise, il obtient le Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES), mais en démissionne à l’issue de son année de stage au lycée Lavoisier pour tenter de s’orienter vers l’enseignement supérieur et la recherche scientifique.
De la physique nucléaire à l’exploration spatiale
Recruté par Raymond Castaing comme assistant de physique à l’Université Paris-Sud (devenue Université Paris-Saclay), il se spécialise avec un DEA en physique nucléaire. « C’est à cette époque que j’ai eu la chance de croiser la route de Michel Maurette, spécialiste des analyses en laboratoire des météorites et des échantillons lunaires, lesquels venaient d’être rapportés par les missions Apollo. Après un séjour aux États-Unis, Michel a été invité à créer une équipe par René Bernas, qui dirigeait à Orsay un laboratoire interdisciplinaire, le Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière (CSNSM). Je l’y ai rejoint pour faire successivement une thèse de troisième cycle, puis une thèse d’État. Au cours de cette dernière, j’ai tenté d’appliquer ce que j’avais appris en physique nucléaire à l’étude d’échantillons lunaires rapportés par les missions Apollo : sans atmosphère, la Lune est irradiée par le vent solaire et le rayonnement cosmique. Ceux-ci s’impriment dans les grains de surface sous la forme d’effets physiques et chimiques dont la compréhension renvoie à celle des propriétés du Soleil et de la Lune », indique Jean-Pierre Bibring. Ce travail s’élargit ensuite à l’exploration des objets planétaires pour en décrypter l’évolution, via le développement de techniques d’analyse innovantes.
Création de l’IAS : quand l’université devient un acteur clé du spatial
Alors qu’il n’est encore qu’un jeune enseignant-chercheur, Jean-Pierre Bibring joue, au début des années 80, un rôle central dans la création de l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS) à Orsay. À une époque où la recherche spatiale française se structure autour de quelques laboratoires spatiaux – des unités de recherche spécialisée dans l’instrumentation spatiale, principalement rattachées au CNRS comme « laboratoires propres » –, il milite pour l’intégration d’un laboratoire spatial au sein d’un campus universitaire. « Il me semblait essentiel d’intégrer ces laboratoires à un environnement universitaire, tant pour favoriser des liens structurels avec la recherche scientifique multidisciplinaire que pour nourrir les formations universitaires. Et compte tenu du dynamisme de l’environnement universitaire d’Orsay et de la présence du Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique (LURE), un atout technologique clé pour l’étalonnage des instruments spatiaux, il nous est apparu évident que c’était là – et non à Toulouse, comme la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) nous y poussait – que cet institut devait voir le jour. »
C’est ainsi qu’avec le soutien du CNES, du ministère de la Recherche et du CNRS, l’IAS voit le jour à Orsay. Intégrant à la fois développement instrumental, recherche fondamentale et formation, ce laboratoire se structure autour de trois thématiques : l’exploration spatiale du système solaire ; l’astrophysique stellaire et solaire ; la cosmologie et la formation des grandes structures de l’Univers. Une quatrième thématique, astrochimie, s’y agrège plus tard.
L’exploration martienne : une quête scientifique et technologique
Au sein de l’IAS, dans lequel il coordonne les programmes d’exploration spatiale du système solaire, Jean-Pierre Bibring oriente ses recherches vers celles intégrant des développements d’instrumentation. En 1984, il contribue à la mission soviétique Phobos en prenant la responsabilité du développement du premier imageur hyperspectral infrarouge, destiné à l’étude de Mars et de son satellite Phobos. Cette technique, couplant imagerie et spectrométrie infrarouge, permet de caractériser la composition, minéralogique et moléculaire, de ce qui est imagé, à l’échelle de chaque pixel. « Nous avons réalisé les premières observations orbitales de Mars révélant directement sa composition… mais seulement durant deux mois, avant qu’une éruption solaire n’endommage la sonde », explique Jean-Pierre Bibring.
Bien que de courte durée, cette mission lui ouvre les portes d’une collaboration durable avec plusieurs agences spatiales internationales, dont la NASA, l’ESA, ROSCOSMOS et la JAXA. Dans les années 1990, il contribue à la conception et à la définition de la mission Mars Express, lancée en 2003 par l’ESA et toujours en opération actuellement. Il assume la responsabilité de la conception, de la réalisation et des opérations de l’instrument OMEGA. Spectromètre imageur hyperspectral servant à cartographier la composition de la surface et de l’atmosphère martiennes, il est développé à l’IAS en collaboration avec l’Observatoire de Paris-Meudon et deux autres laboratoires, l’un à Rome et l’autre à Moscou. « Grâce à OMEGA, nous avons réécrit l’histoire minéralogique de Mars depuis sa formation, révélant en particulier une ère très ancienne durant laquelle de l’eau était présente en abondance à sa surface. L’exploration contemporaine vise à explorer les sites qui en ont gardé la mémoire », explique Jean-Pierre Bibring.
Après Mars Express, il s’implique dans la mission ExoMars de l’ESA, destinée à la recherche d’éventuelles traces d’évolution, de type biologique, passée voire présente sur Mars. Au plan instrumental, il contribue à étendre l’imagerie spatiale hyperspectrale infragouge, de l’analyse à distance des objets (la quasi-totalité des missions orbitales en possèdent désormais) à la caractérisation microscopique d’échantillons.
Des comètes aux astéroïdes : remonter aux origines du système solaire
Autre temps fort de la carrière de Jean-Pierre Bibring : sa participation, à partir de 1994, à la mission Rosetta en tant que co-responsable scientifique de Philae, l’atterrisseur de la mission qui se pose en 2014 sur la comète 67P/Tchourioumov-Guerassimenko. « Cet exploit inédit nous a permis de recueillir des données précieuses modifiant profondément notre conception de ce que sont les comètes et de leur rôle potentiel dans l’évolution vers le vivant sur Terre. Nous poursuivons ces travaux avec de nouvelles missions de retour d’échantillons d’objets très primordiaux », indique Jean-Pierre Bibring.
C’est ainsi qu’il collabore depuis plusieurs années à la mission japonaise Hayabusa2, qui rapporte sur Terre des échantillons d’astéroïdes carbonés pour en analyser la composition chimique. « Dans le cadre de cette coopération, nous avons notamment développé l’instrument MicrOmega, un microscope hyperspectral proche-IR utilisé pour caractériser la composition des minéraux et des composés organiques des échantillons rapportés sur Terre. Ces mesures sont effectuées dans l’enceinte même où les échantillons sont stockés, au Japon, hors de toute contamination terrestre. » Une collaboration parmi tant d’autres, qui témoigne de la reconnaissance internationale du savoir-faire instrumental acquis en France. « Ces travaux débouchent sur des résultats ouvrant nombre de nouveaux paradigmes, quant aux processus, extraordinairement singuliers, qui ont façonné notre planète et le vivant qu’elle abrite. »
Former les scientifiques de demain
Parallèlement à son activité de recherche, Jean-Pierre Bibring attache depuis toujours une grande importance à l’enseignement. Professeur à l’Université Paris-Saclay, il contribue à la formation des étudiantes et étudiants en astrophysique et en instrumentation spatiale. « Avec Guillaume Pineau des Forets et d’autres collègues du laboratoire, nous avons souhaité créer à tous les niveaux des enseignements couplant physique, astrophysique fondamentale et ingénierie, avec pour objectif de sensibiliser nos étudiantes et étudiants aux enjeux des missions spatiales et à la portée de leurs retombées. »
Il participe également à la mise en place, au sein de l’Université Paris-Saclay, d’un parcours dédié à l’astrophysique et destiné à tous les niveaux universitaires. Il contribue en outre à la création de formations dites professionnalisantes, qui aujourd’hui ont la forme d’un master dédié à l’instrumentation embarquée. « La spécificité de l’enseignement supérieur, couplant enseignement et recherche, est essentielle en ce qu’elle offre à acquérir et transmettre une approche du monde qui pousse à toujours se questionner et à exiger des réponses validées », conclut Jean-Pierre Bibring.
- Dernier ouvrage paru : Seuls dans l’Univers ; de la diversité des mondes à l’unicité de la vie, Éditions Odile Jacob.