Jean-François Roch : quand les défauts des diamants transforment la matière

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 04 juin 2025 , mis à jour le 19 juin 2025

Jean-François Roch est professeur de physique à l’ENS Paris-Saclay, chercheur au laboratoire Lumière, matière, interfaces (LuMIn – Univ. Paris-Saclay/ENS Paris-Saclay/CNRS/CentraleSupélec) et co-directeur du laboratoire de recherches coordonnées sur les capteurs quantiques entre LuMIn et Thales R&T. Depuis plus de vingt ans, le physicien consacre ses recherches aux défauts cristallins du diamant pour le développement conjoint de capteurs quantiques et de sources quantiques de lumière.

Jean-François Roch est reçu en 1984 à l’École normale supérieure de l'enseignement technique (ENSET), devenue l’ENS Cachan puis l’ENS Paris-Saclay aujourd’hui. Il conserve un souvenir « extraordinaire » de ses années d’études au département de physique. « Le message de l’École était à la fois exigeant et bienveillant :  aimez la science ! », se souvient-il. Après l'agrégation de physique en 1987, il est affecté au CEA à Saclay en tant que scientifique du contingent pour effectuer son service militaire. Là, auprès d’ingénieurs chevronnés, il se perfectionne en maniement d’instruments complexes. À sa sortie de l’ENS Cachan en 1988, Jean-François Roch démarre une thèse à l’Institut d’Optique Graduate School sous la direction de Philippe Grangier.
 

La découverte des mesures QND

La thèse de Jean-François Roch porte sur les mesures quantiques non destructives (QND) en optique : l’expérience consiste à utiliser un jet d’atomes pour coupler deux faisceaux laser qui le traversent. L’un de ces faisceaux porte le signal et l’autre sert à obtenir la mesure. Un jour, Philippe Grangier et lui se demandent si l’information ainsi obtenue fait mieux qu’une simple lame de verre qui prélève une partie de l’intensité du faisceau signal. Cette comparaison les conduit à définir des critères quantitatifs qui séparent la mesure quantique non-destructive d’une mesure classique. Jean-François Roch soutient sa thèse en 1992 puis est recruté à l'Institut d'Optique Graduate School en tant que chargé de recherches au CNRS. Philippe Grangier lui propose alors de remplacer le jet d’atomes par un piège d’atomes froids, dont le principe vient d’être découvert. « Malgré la complexité de l'expérience, l'équipe atteint en 1996 une efficacité record dans la mesure QND, une performance qui demeure inégalée à ce jour ! », souligne Jean-François Roch.
 

Montrer la nature onde-corpuscule du photon

En 1996, inspiré par les travaux de Michel Orrit sur la détection de molécules uniques, Jean-François Roch se tourne vers la physique de la matière condensée. Il rejoint l’équipe de Serge Haroche au Laboratoire Kastler Brossel et étudie les modes de galerie dans les microsphères de silice, avec l’idée de coupler ces modes à une molécule unique. Bernard Decomps, à la tête de l'ENS Paris-Saclay, l’invite à rejoindre le tout nouveau laboratoire de physique quantique qui y se crée. Jean-François Roch y devient professeur en 1988 et se consacre au développement des sources de photons uniques en contrôlant l’émission d’une molécule unique. « Je me suis intéressé pour la première fois aux centres colorés du diamant : ce sont des imperfections à l’échelle atomique du diamant à l’origine des couleurs du diamant mais ce sont aussi de véritables atomes artificiels piégés dans la matrice. Plus précisément, j’étudiais les centres NV où un atome d’azote N remplace un atome de carbone et s’associe à une lacune V du cristal. »

En 2005, Jean-François Roch souhaite revisiter l'expérience d'interférence à un photon que Philippe Grangier et Alain Aspect ont réalisée en 1986, en y intégrant « le choix retardé de Wheeler ».  « L'idée, c'est de sonder la nature de notre photon unique, onde ou corpuscule, le plus tard possible. » Surmontant de nombreux défis techniques et après un travail collaboratif de longue haleine d’un an et demi, l'expérience est un succès. « Les résultats, publiés en 2007, ont démontré que la dualité onde-corpuscule ne se réduit pas à un choix binaire, mais dépend du contexte expérimental. »
 

Utiliser les défauts cristallins

Une visite à Stuttgart marque un tournant dans les recherches de Jean-François Roch. Le physicien allemand Jörg Wrachtrup lui montre une expérience où un centre NV du diamant cartographie le champ magnétique à l’échelle nanométrique. Très impressionné par cette méthode, il la perfectionne en collaboration du doctorant Vincent Jacques : ensemble, ils développent avec succès une technique unique utilisée aujourd’hui par de nombreuses équipes travaillant sur le nanomagnétisme et la spintronique.

En 2009, Jean-François Roch devient directeur-adjoint de l’ENS Paris-Saclay. Aux prémices de la construction de l'université Paris-Saclay, l’expérience institutionnelle est passionnante mais chronophage, au point de mettre ses activités de recherche entre parenthèses. Choisissant de revenir à son travail de physicien, il démissionne de ses fonctions en 2011. De 2012 à 2017, il prend la direction du Laboratoire Aimé Cotton (LAC – Univ. Paris-Saclay/CNRS). Il collabore étroitement avec Thierry Debuisschert, ingénieur à Thales R&T, pour développer différentes techniques de magnétométrie à centres NV, à l’origine du laboratoire commun.
 

Fabriquer ses défauts du diamant

En 2016, Jean-François Roch part un an à Bochum, en Allemagne, où il se familiarise avec les techniques d'implantation d'atomes afin de créer et de localiser les centres colorés. À son retour, il conçoit un dispositif pour les fabriquer à l'aide d'un faisceau d'ions focalisé. Ce prototype, développé en collaboration avec la société française Orsay Physics, est depuis commercialisé.

Cellule à enclumes de diamant
Cellule à enclumes de diamant. Crédits : Univ. Paris-Saclay

L’année 2017 marque un nouveau virage. Jean-François Roch s’intéresse aux cellules à enclumes de diamant, un outil « extraordinaire » capable de créer des pressions extrêmes, comparables à celles du centre de la Terre.  « Ce sont deux diamants taillés en pointe qu'on appuie l'un contre l'autre, ce qui, en concentrant la force appliquée, permet d’atteindre des pressions gigantesques entre les deux enclumes. Le dispositif agit comme un bouton pour changer complètement les propriétés physiques des matériaux. On peut ainsi créer des supraconducteurs qui conservent cette propriété quantique jusqu’à des températures très élevées, ou encore faire apparaître ou disparaître des propriétés magnétiques. » En très étroite collaboration avec Paul Loubeyre et son équipe au CEA-DAM de Bruyères-le-Châtel, il montre que les centres NV sont susceptibles d’être créés sur ces enclumes et utilisés comme des capteurs magnétiques au contact direct de l’échantillon.

En 2019, Jean-François Roch effectue un séjour à Cambridge, dans le cadre du programme French Fellows du Churchill College. L’environnement, propice à la réflexion, le conduit à déposer, en 2020, le projet Equipex+ e-DIAMANT, qui associe des partenaires académiques - le LuMin, le Laboratoire d'intégration de systèmes et de technologies (List – Univ. Paris-Saclay/CEA), le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Univ. Paris Cité), le Laboratoire Albert Fert (LMF – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Thales), le Groupe d'études de la matière condensée (GEMAC – Univ. Paris-Saclay/UVSQ/CNRS) -, et l’industriel Thales.  « L’objectif de ce projet innovant est de se doter des outils nécessaires à l’amélioration des propriétés quantiques du diamant nécessaires au développement de capteurs quantiques. »

Aujourd’hui, le chercheur contribue à mettre en place à l’ENS Paris-Saclay un laboratoire d’instrumentation hautes pressions. Son projet Q-PRESSE (Quantum Probes for High-Pressure Superconductivity), soutenu par une bourse ERC Advanced Grant, explore de nombreux types de supraconducteurs à des pressions supérieures au million d’atmosphères. Il s’investit également dans la formation, créant en collaboration avec Pascale Senellart, du C2N, le diplôme ARTeQ, conçu pour renforcer les compétences des étudiants en technologies quantiques.

Membre senior de l'Institut universitaire de France depuis 2021, Jean-François Roch est doublement distingué en 2024 par le prix Jaffé de la Fondation et la médaille Berthelot de l’Institut de France, des distinctions qui saluent l’impact et l’audace des recherches de ce physicien au parcours exceptionnel.


 

Jean-François Roch. Crédits : Univ. Paris-Saclay