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Jean-François Le Gall : un drôle de menu pour un mathématicien

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 01 avril 2019 , mis à jour le 07 mai 2021

Membre de l'Académie des sciences, Jean-François Le Gall est mathématicien, spécialiste de la théorie des probabilités. Il vient d’obtenir le prestigieux Prix Wolf en mathématiques. Ce prix vient récompenser ses travaux de recherche qui ont fait progresser de manière décisive la géométrie aléatoire. En particulier, il est le premier mathématicien à avoir construit la carte brownienne, découvrant la loi universelle qui régit les propriétés de grands graphes dessinés au hasard dans le plan.

Directeur de l’équipe Probabilités et statistiques au Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO – CNRS/Université Paris-Sud) et responsable du projet GeoBrown soutenu par une bourse européenne ERC Advanced Grant, Jean-François Le Gall travaille sur plusieurs aspects des probabilités établissant des modèles mathématiques qui rendent compte de phénomènes aléatoires (processus stochastiques). « Je me suis intéressé à cet objet fondamental de la théorie des probabilités qu’est le mouvement brownien parce qu’il intervient dans de nombreux problèmes », commente l’intéressé.

La saucisse de Wiener

Les mathématiciens ne manquent pas d’humour et apprécient les jeux de mots : alors que les « Wiener sausages » désignent en anglais les saucisses de Francfort, ils qualifient volontiers de « saucisse de Wiener » un objet apparaissant dans la théorie du mouvement brownien, en référence au nom du mathématicien qui formalisa pour la première fois ce processus aléatoire. Un plat qui figure au menu des recherches de Jean-François Le Gall depuis les années 80.

« Prenons par exemple une particule en suspension dans l’eau : très perturbée, elle change constamment de direction. Ce mouvement désordonné, très irrégulier et dont ne peut pas identifier la direction, est modélisé par le mouvement brownien ». Le mathématicien a beaucoup étudié ses points multiples, en particulier ceux par lesquels le mouvement passe une infinité de fois et obtient de nouvelles propriétés remarquables. « En imaginant que le mouvement brownien laisse une trace derrière lui - on épaissit un peu la courbe décrite - j’ai obtenu des informations très précises sur le volume de l’ensemble des points visités. »

La loi du hasard

Ce sont ses récents résultats, fruits d’un travail de cinq ans, sur la théorie des graphes aléatoires qui valent, entre autres raisons, à Jean-François Le Gall d’être distingué aujourd’hui. « Imaginons qu’on se déplace sur Terre, en dessinant de manière complètement aléatoire des routes (les arêtes) reliant des villes (les sommets), et ce jusqu’à remplir toute la surface. Une fois ce modèle géométrique aléatoire créé, on mesure les distances d’un point à l’autre. » En observant la limite infinie du graphe, le mathématicien met au jour l’unicité du modèle, « certes aléatoire, mais aussi universel du point de vue de sa loi. On peut par exemple calculer la probabilité pour laquelle une distance maximale entre deux points sur la sphère sera plus grande qu’une quantité fixée. »

Des applications concrètes

« Je n’ai pas l’impression de travailler sur des choses abstraites, commente le mathématicien. Les modèles que j’étudie sont très proches de ceux abordés par les physiciens théoriciens. Dans le passé et encore aujourd’hui, le mouvement brownien a beaucoup été utilisé dans les travaux de mathématiques financières. » Longtemps négligée en France, la théorie des probabilités s’est progressivement développée ces soixante dernières années et a été consacrée par trois médailles Fields depuis 2006. Modeste, Jean-François Le Gall confie que c’est probablement la raison pour laquelle il reçoit aujourd’hui, « avec une grande satisfaction », le Prix Wolf en mathématiques, conjointement avec son confrère Gregory Lawler.

La passion des maths

Alors âgé de 22 ans à sa sortie de l’École normale supérieure, Jean-François Le Gall devient chercheur au CNRS. « Je ne sais pas ce que j’aurais fait si je n’avais pas été pris, car j’avais très envie de faire de la recherche », se souvient le mathématicien. Par la suite professeur à l’Université Pierre et Marie Curie pendant 20 ans, il rejoint, en 2007, le Laboratoire de mathématiques d’Orsay. En presque 40 ans de carrière, Jean-François Le Gall comptabilise aujourd’hui environ 130 publications, une moyenne annuelle de dix participations à des congrès mondiaux, et une vingtaine de thèses dirigées.

Mettre le pied à l’étrier 

Malgré l’extrême concurrence à laquelle les jeunes étudiants sont aujourd’hui confrontés, le mathématicien encourage leur passion. « J’aime l’idée de les former à la recherche mathématique : résoudre les problèmes, rédiger des articles. Le travail du chercheur étant souvent assez solitaire, je suis content d’apporter du concret à autrui. » Une attention que lui rendront bien ses anciens étudiants qui, à l’occasion de ses 60 ans en juin prochain, réuniront 300 chercheurs, tous « browniens » passionnés.

Un récit de Jean-François Le Gall