Aller au contenu principal

Jane Lecomte : rendre sa liberté à la biodiversité

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 28 mai 2019 , mis à jour le 24 septembre 2020

Jane Lecomte est directrice du laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE - AgroParisTech / CNRS / Université Paris-Sud) et chargée de mission développement durable à l’Université Paris-Sud. Spécialiste de l’écologie, cette chercheuse a fait de la biodiversité à la fois une expertise scientifique pointue et un engagement personnel.

Le laboratoire ESE que dirige Jane Lecomte est l’un des rares laboratoires en France à s’intéresser aux deux facettes de l’écologie - évolutive et fonctionnelle - et à l’évolution. « Nos sujets de recherche portent à la fois sur l’origine et la dynamique de la biodiversité ainsi que l’évolution et le fonctionnement des écosystèmes et des socio-écosystèmes. Les effets des changements globaux, notamment climatiques, sur la biodiversité constitue un thème transversal à toutes les équipes », commente la chercheuse.

L’ADN de la pluridisciplinarité

« L’écologie est pluridisciplinaire par définition puisque c’est l’étude des interactions entre le vivant et son environnement », continue Jane Lecomte. Cette discipline scientifique associe les sciences du vivant à la chimie, à physique, aux géosciences, aux sciences du climat, aux mathématiques et aux sciences humaines et sociales « Une de nos équipes étudie les interactions entre les systèmes écologiques et les sociétés humaines. Deux économistes et un éco-anthropologue cherchent à mieux comprendre la dynamique de la biodiversité non humaine avec le fonctionnement de notre société. »

L’autre caractéristique de l’écologie est de réaliser des approches par modélisation statistique, mécaniste, ou théorique. « Nous faisons face à des systèmes très complexes et sommes engagés dans une dynamique de scénarios afin d’extrapoler l’évolution de ces écosystèmes à long terme. »

Du Mont Lozère au plateau de Saclay

« Enfant, j’étais très proche de la nature, j’aimais l’écologie avant même de savoir ce que c’était », raconte Jane Lecomte. Après un magistère de biologie-biochimie à l’ENS-Paris, elle soutient sa thèse en 1993, décroche un poste d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’Université Paris-Sud et est recrutée au laboratoire ESE. Alors que ses premières recherches menées sur le Mont Lozère concernent les populations animales dont elle étudie la dynamique et la viabilité face à la fragmentation de leur habitat, la chercheuse se tourne vers le végétal une fois à l’ESE. « Il y avait alors un fort besoin d’expertise scientifique sur les risques écologiques liés à la dissémination dans l’environnement des plantes transgéniques en plein champ et de leurs gènes. » Pendant dix ans, elle effectue un travail de suivi de terrain, d’expérimentations et de modélisation sur cette question. Elle fait partie du premier comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies de 2009 à 2014.

Vers une « écologisation » des milieux agricoles

Jane Lecomte réalise ensuite le lien entre ses premières recherches dans des milieux très peu anthropisés et celles dans des milieux très perturbés par les humains. « Nous étudions la manière avec laquelle on pourrait agencer des milieux semi-naturels au sein des paysages agricoles pour bénéficier au mieux des services rendus par la biodiversité. Car pour diminuer la pression des bio-agresseurs dans un champ, soit on les éradique par des pesticides, soit on réalise un contrôle biologique par conservation, qui consiste en la mobilisation des ennemis naturels de ces bio-agresseurs et qui est une des approches utilisées en agroécologie. » Une pierre, deux coups : on réduit les effets néfastes des pesticides sur la santé des humains et non-humains tout en permettant à la biodiversité sauvage de réinvestir les agrosystèmes.

Une éthique de la biodiversité

Prônant aujourd’hui une éthique environnementale, la chercheuse défend une approche évocentrée de la biodiversité. « Nous devons envisager notre rapport aux non-humains et leur évolution au-delà de nos intérêts anthropocentrés, ce qui signifie notamment de baisser notre empreinte sur le vivant. Laisser des degrés de liberté au vivant suffit à lui être plus résilient aux perturbations pour s’y adapter et poursuivre sa trajectoire évolutive. » Un constat corroboré par de nombreux résultats scientifiques pour lesquels Jane Lecomte se bat, pour une meilleure prise en compte par les politiques et les scientifiques. « Nous savons ce qu’il faut faire pour endiguer l’érosion de la biodiversité et que le changement climatique nécessite de baisser la température d’un degré. La mobilisation sur les questions climatiques a mis 30 ans, elle est éminemment importante. Mais les enjeux de la biodiversité le sont aussi et il faut faire vite ! » De ce point de vue, Jane Lecomte se félicite que « le lien avec la sphère publique soit enfin établi » grâce à la médiatisation du rapport de l’IPBES.

Jane Lecomte