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Indira David : de nouvelles thérapies contre l’anxiété grâce à la psychopharmacologie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 01 décembre 2022 , mis à jour le 09 décembre 2022

Indira David est docteure en neuropharmacologie et ingénieure au sein de l’équipe Moods du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ). Passionnée par la psychopharmacologie, elle travaille à développer de nouvelles thérapies pour traiter l’anxiété généralisée.

Originaire du Venezuela et de nationalité franco-américaine, Indira David se destine très tôt à une carrière académique. Après un master en sciences au John Jay College of Criminal Justice à New York (États-Unis), elle est recrutée, en 1998, en tant que technicienne à l’Institut de médecine comparative de l’Université Columbia, New York. Cette unité de recherche s’intéresse à la manière dont le guidage axonal - une branche du neurodéveloppement qui étudie comment la partie du neurone conduisant le signal électrique du corps cellulaire vers les zones synaptiques parvient à trouver ses cellules cibles - se développe dans les voies visuelles. En 1999, Indira David intègre le laboratoire de neurosciences intégratives de l’Université Columbia, où elle collabore notamment avec Eric Kandel, prix Nobel de physiologie ou médecine en 2000. Elle y est promue assistante de recherche en 2001. « C’est à cette période que mon aventure scientifique a commencé et que j’ai développé un grand intérêt pour la psychiatrie. » En 2005, elle entame une formation universitaire en neurosciences dans cette même université. Elle y acquière une grande expérience en études comportementales, en immunohistochimie - une méthode de localisation de protéines dans les cellules d'une coupe tissulaire - et participe à de nombreuses études. L’une d’entre elles concerne la mise en place d’un modèle animal pour mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques mis en jeux lors d’un traitement par antidépresseur. Les résultats de ces travaux sont publiés dans le journal Neuron en 2009. « L’article a été cité plus de 1 200 fois à ce jour », précise Indira David.

 

Un parcours transatlantique

Après la réalisation de différents projets scientifiques et de collaborations fructueuses avec l’équipe Moods du CESP, Indira David se spécialise en neuropsychopharmacologie. Elle traverse l’océan Atlantique en 2010 pour rejoindre l’équipe française et effectuer une thèse en pharmacologie expérimentale et clinique, en partenariat avec l’Université Columbia. Cette thèse, qu’elle soutient en 2013, s’intitule : Effets anxiolytiques/antidépresseurs et neurogéniques des ligands du récepteur 5-HT4 chez la souris : rôle de la protéine β-arrestine 1. Il s’agit d’identifier le rôle de ce récepteur sérotoninergique - c’est-à-dire un récepteur du système nerveux activé par la sérotonine - dans la prise en charge du trouble anxio-dépressif. En 2014, ce travail est récompensé par le prix de thèse de l’Académie nationale de pharmacie.

 

La limite des traitements existants

Depuis plus de vingt ans, Indira David met ses travaux au service de la psychiatrie et plus précisément du traitement du trouble de l’humeur, comme la dépression et les troubles anxieux. L’anxiété fait partie des dysfonctionnements mentaux les plus répandus dans la population française, entrainant des dépenses de santé annuelles de plus de 40 milliards d’euros. Pour la traiter, le personnel clinique prescrit par le passé des benzodiazépines. Dorénavant, il préfère administrer aux patientes et aux patients de nouvelles molécules, pour éviter les effets indésirables associés à la dépendance physique et psychique. Ces molécules sont des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et d’autres agents sérotoninergiques ayant un rôle dans l’anxiété. « Mais les ISRS présentent une activité thérapeutique retardée de plusieurs semaines, ce qui peut poser problème à de nombreuses personnes. Aussi ai-je axé mes travaux sur le développement de nouveaux anxiolytiques à action rapide voire immédiate. »

 

Activer le récepteur sérotoninergique 5-HT4R

Indira David démontre qu’en activant le récepteur sérotoninergique de type 4 5-HT4R, il est possible de développer une nouvelle stratégie. Car en administrant un agoniste de ce récepteur - une molécule qui interagit avec le récepteur et l’active –, on induit des effets de type anxiolytique rapide.

Suite à ces résultats, Indira David poursuit ses travaux et s’intéresse aux mécanismes neurobiologiques impliqués dans les effets anxiolytiques rapides, que ce soit suite à l’activation du récepteur 5-HT4R ou à l’administration de diazépam (un médicament de la famille des benzodiazépines, telles que le Valium®, et qui possède des propriétés anxiolytiques et sédatives). Les résultats mettent en évidence l’impact du circuit cérébral cortex-raphé - impliqué dans les processus émotionnels - sur l’activité anxiolytique rapide. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Biological psychiatry et l’article fait partie de l’un des plus cités dans le domaine de la psychiatrie en 2020.

 

Identifier de nouveaux circuits neuronaux

L’ingénieure est aussi de nombreuses fois récompensée. Notamment en 2017 et plus récemment en 2022, lorsqu’elle reçoit le National alliance for research on schizophrenia and depression young investigator award par la Brain & behavior research foundation. En 2018, elle obtient une bourse de recherche de la fondation Deniker. « Grâce à ces prix, je peux aujourd’hui aller encore plus loin dans mes recherches, en combinant l’approche pharmacologique à l’optogénétique et à la photométrie à fibre optique, deux nouvelles méthodes de pointe. » L’optogénétique constitue une révolution technologique dans le domaine des neurosciences. Elle consiste à modifier génétiquement des neurones afin de les rendre sensibles à la lumière, grâce à l’expression de la protéine opsine. La photométrie à fibre optique est, quant à elle, une nouvelle technique d’imagerie calcique : il s’agit de visualiser le calcium dans une cellule ou un milieu afin d’étudier l’activité d’une région cérébrale donnée. Grâce à ces méthodes, Indira David compte identifier les circuits neuronaux et de nouveaux ligands du 5-HT4R impliqués dans la réponse anxiolytique rapide. Pour ces travaux, elle collabore avec la division des neurosciences intégratives du département de psychiatrie de l’Université Columbia et le laboratoire Biomolécules : conception, isolement, synthèse (BioCis - Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Cergy-Pontoise).


 
Partager une passion

Indira David intervient dans divers programmes de master nationaux et internationaux au sein de l’Université Paris-Saclay. Ses enseignements portent sur le développement de médicaments et de produits de santé, notamment sur les modèles animaux pour la psychopharmacologie ou sur l’optogénétique. « J’apprécie particulièrement ce rôle d’encadrement d’étudiantes et étudiants, surtout à la paillasse, afin qu’elles et ils développent des compétences pratiques. Je leur transmets ma passion pour la recherche scientifique. Je pense que cela participe à susciter des vocations. »

 

Promouvoir l’accès des femmes à la recherche

En 2020 et en 2021, Indira David est lauréate du Travel Awards Program, décerné par l’American college of neuropsychopharmacoloy (ACNP), afin de présenter ses travaux de recherche. Elle obtient ce prix en 2021 dans la catégorie under represented minority. Un sujet sur lequel Indira David s’engage d’ailleurs activement : elle soutient l’accès à la recherche en neuropsychopharmacologie pour les femmes issues de minorités, notamment celles venant d’Amérique latine. « Elles étaient 7 % en 1990 et 28 % en 2019. J’aimerais que cette proportion augmente encore plus vite dans les prochaines années. » Dans cette optique, elle est aussi membre de l’organisation internationale pour les femmes scientifiques Graduate Women In Science. « Ces projets me tiennent à cœur car mon travail m’enseigne qu’un projet ne peut aboutir que si l’on travaille en équipe. Ma devise est "Teamwork makes the dream work!" », conclut Indira David.

 

Indira David - Crédits : Christophe Peus - Université Paris-Saclay