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Guy David : Résoudre l’équation de la bulle de savon

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 11 février 2021 , mis à jour le 08 juin 2023

Guy David est enseignant-chercheur au Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO – Université Paris-Saclay, CNRS). Il étudie la théorie géométrique de la mesure, le calcul des variations et les équations aux dérivées partielles. Il enseigne au département de mathématiques de l’Université. Ses recherches récentes concernent par exemple la description théorique des films de savon. Aujourd’hui, il s’intéresse surtout à une notion de mesure harmonique adaptée à des domaines dont le bord est de petite dimension. L’Académie des sciences vient de lui décerner le prix Ampère 2020.

« Les équations aux dérivées partielles représentent la manière dont on modélise la nature. Il est d’usage, par exemple, de décrire la météo avec des variables comme la pression atmosphérique ou la température, précise Guy David. Si nous connaissons la pression de l’air sur Terre à un moment donné, alors nous devrions être capables de dire les pressions pour tous les autres moments. » À partir de là, les mathématiciens se posent trois questions : leurs équations décrivent-elles bien la nature qui les entourent ? Parviendront-ils à les résoudre ? Et une fois ces deux étapes franchies, pourront-ils aussi les résoudre pratiquement ? 

La mesure harmonique

L’étude des relations entre la géométrie d’un domaine (l’intérieur du poumon) et la mesure harmonique (la distribution de l’air à l’interface) est un des grands classiques des équations aux dérivées partielles. Une petite particule d’air y entre et la question est de savoir jusqu’où elle parvient à l’intérieur du poumon. « Le poumon est fait pour avoir la surface la plus grande possible, pour permettre un maximum d’échange entre l’oxygène et le dioxyde de carbone ; du coup il possède une multitude d’anfractuosités, explique Guy David. La question est de savoir si l’air, dont le mouvement est décrit par un mouvement brownien, peut atteindre tous les endroits du poumon ou seulement une petite partie. Dans ce cas, ce qu’on appelle la mesure harmonique décrit la partie du poumon qui peut être atteinte par l’air. La manière dont l’air se meut (le mouvement Brownien) est alors régie par une équation aux dérivées partielles simple, l’équation de Laplace, qui est un bon modèle de ce qu’on appelle les équations elliptiques. »

D’importants progrès ont été faits récemment. Avec deux autres chercheurs, Guy David a introduit une classe d’opérateurs elliptiques différente, adaptée à des domaines dont la frontière est beaucoup plus petite. L’analogue du mouvement Brownien est ainsi poussé en direction du bord (autrement, il pourrait passer à côté sans le voir !). L’étude de la mesure harmonique s’est ici révélée passionnante, et a aussi permis de mieux comprendre certains problèmes restés inabordés dans le cas classique de l’équation de Laplace.

Le calcul des variations et les films de savon

L’un des outils utiles à l’étude de la mesure harmonique est ce qu’on appelle la théorie géométrique de la mesure, une manière d’étudier en détail la régularité des ensembles dans l’espace euclidien. À quoi ressemblent-ils le plus souvent ? À des plans ? Avec quelles estimations sur les erreurs ? Que peut-on en déduire sur toutes sortes d’objets associés à ces ensembles ? C’est aussi l’un des outils principaux du « calcul des variations ». Beaucoup de phénomènes sont régis par la minimisation de « fonctionnelles » et les principaux buts du calcul des variations sont de démontrer l’existence de fonctions ou de configurations qui minimisent ces fonctionnelles. Et ensuite d’étudier en détails ces configurations minimales.

Un très bon exemple, étudié par Guy David, est celui de la description des films et bulles de savon. Dans ce cas, le modèle consiste à dire que ces films et bulles minimisent une quantité très simple, l’aire totale, avec la contrainte de s’appuyer sur un bord donné, ce qui correspond à tremper un fil de fer dans du savon et à regarder la surface formée (ou de contenir des volumes donnés dans les bulles). « C’est ce qu’on appelle le problème de Plateau, qui est justement la question de l’existence de surfaces s’appuyant sur un bord donné (le fil de fer) et d’aire minimale, explique le chercheur. En fait, il y a de nombreuses manières de donner un sens précis aux termes « s’appuyer » et « aire de la surface », qui ont donné lieu à de magnifiques pages de mathématiques. Mais curieusement, pour celle que je préfère et qui me semble le mieux décrire les films de savon pratiques, le théorème d’existence de minimiseurs n’est pas encore connu, même pour des surfaces de dimension 2 dans l’espace euclidien de dimension 3, avec un bord qui est une courbe lisse. » 

Trouver le théorème manquant

Guy David est un pur mathématicien. « J’aime bien que les surfaces minimales que j’étudie ressemblent effectivement aux films de savon de la vie courante. J’y vois dans ce cas une adéquation surprenante et réjouissante d’une modélisation très simple avec la réalité. Mais si les films de savon réels ne vérifiaient pas les propriétés que je démontre, je ne serais pas loin de juger qu’elles ont juste tort ou plus sérieusement que le modèle était moins bon que prévu. » 

Un très beau théorème de Jean Taylor, écrit dans les années 70, donne une description complète locale des films de savon, loin de la frontière : ils sont obtenus à partir de surfaces lisses qui ont le droit de se rejoindre par groupes de 3, avec des angles de 120 degrés et le long de courbes qui, elles-mêmes, ne peuvent se joindre qu’à leurs extrémités par groupes de 4 et avec des angles égaux. « C’est facile à observer sur les vrais films de savon, mais Taylor promet que vous ne pourrez jamais construire des singularités plus compliquées », observe Guy David, qui espère bien un jour démontrer une nomenclature semblable concernant les manières possibles dont le film peut s’attacher au bord. « Même pour un bord lisse, cette nomenclature n’est pas encore démontrée ! »

La passion des mathématiques 

Aussi loin qu’il s’en souvienne, Guy David a toujours aimé les maths. « Le système éducatif étant basé dessus, toutes les voies s’offraient à moi et je n’ai jamais eu de choix difficile à faire. » Alors il entre à l’ENS en 1976, puis soutient sa thèse de troisième cycle à l'Université Paris-Sud sous la direction d'Yves Meyer. De 1982 à 1989, il est attaché de recherches au Centre de mathématiques de l’École polytechnique. En 1989, il devient professeur à l'Université Paris-Sud. « J’aime beaucoup enseigner, mais ma motivation première est de faire de la recherche en mathématiques », avoue Guy David. Il se souvient avec émotion de l’invention de son premier théorème, à moins de 30 ans, et de ses autres succès, comme l’invention avec le mathématicien Stephen Semmes de la rectifiabilité uniforme et la résolution partielle de la conjecture de Vitushkin en 1998. Le prix Ampère 2020 de l’Académie des sciences se place en bonne position dans de son palmarès personnel. « Comme beaucoup de matheux, j’ai tendance à penser que je ne mérite pas les récompenses, mais au fond, je ne boude plus mon plaisir, car c’est la preuve que des collègues apprécient mon travail. »