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Franck Richecoeur : Animer la flamme de la recherche en ingénierie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 09 décembre 2021 , mis à jour le 17 décembre 2021

Franck Richecoeur est professeur au laboratoire d'Énergétique moléculaire et macroscopique, combustion (EM2C – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CentraleSupélec) et directeur de la Graduate School Sciences de l’ingénierie et des systèmes de l’Université Paris-Saclay.  Il est spécialiste de la micro-combustion, une recherche au carrefour de plusieurs disciplines des sciences de l’ingénieur, dont les développements applicatifs nourrissent les connaissances fondamentales.

En première année à l’ISAE ENSMA à Poitiers, le projet de Franck Richecoeur est sélectionné par l’Agence spatiale européenne (ESA) pour participer à un rassemblement de jeunes scientifiques au centre de Mérignac en juillet 2001. Après des mois de mise au point, avec l’appui des chercheurs et des techniciens du Laboratoire de combustion (aujourd’hui Pprime) de Poitiers, le jeune étudiant effectue ses deux premiers vols paraboliques avec une soixantaine d’équipes de toutes les nationalités et présente les résultats de son expérimentation l’année suivante au Japon. « C’était une expérience extraordinaire, se souvient Franck Richecoeur, tant humaine que scientifique. J’abordais pour la première fois la recherche avec une vraie problématique expérimentale. » 

À la fin de sa deuxième année d’école d’ingénieurs, il met le cap pour quatre mois sur un laboratoire de l’Université de Yale en tant que visiting scholar. « La micro-combustion consiste à atomiser le combustible le plus rapidement possible pour le brûler dans un volume très restreint (1 cm3) tout en récupérant la chaleur », explique le chercheur. À 22 ans, Franck Richecoeur monte deux nouvelles expériences dont les résultats enrichissent les recherches du professeur Alessandro Gomez, de l’Université de Yale. « Nous étudiions comment améliorer l’efficacité de combustion dans de tous petits brûleurs pas très énergétiques mais très compacts. » De retour en France, il est diplômé de l’ISAE tout en obtenant un master 2 de l’Université de Poitiers. À l’occasion de son stage de M2 effectué dans un autre laboratoire américain (Illinois), Franck Richecoeur publie son premier article de référence. À l’automne 2003, il contacte Sébastien Candel, chercheur au laboratoire EM2C, pour démarrer une thèse. Financée par le CNES, ses travaux concernaient les instabilités de combustion dans les moteurs fusées. « Les flammes peuvent être calmes, comme dans une plaque de gaz en cuisine par exemple, explique-t-il, mais elles sont beaucoup plus chahutées dans un moteur de voiture, d’avion ou de fusée. Elles deviennent tellement oscillantes qu’elles font vibrer le moteur jusqu’à le casser. C’est d’ailleurs la cause d’un échec de la fusée Ariane dans les années 80. »

 

Écouter le bruit d’une flamme

Franck Richecoeur a la chance de travailler sur un des quatre bancs expérimentaux cryogéniques existant au monde à l’ONERA. Ce banc permet de brûler de l’oxygène et de l’hydrogène à basse température. L’équipe est la première à pouvoir observer les flammes qui viennent amplifier ou au contraire atténuer les oscillations acoustiques de haute amplitude qui y sont envoyées. Le jeune chercheur profite de l’émergence des nouvelles techniques de traitement du signal et la puissance de calcul des ordinateurs pour traiter en temps réel des mesures et mettre au point une simulation numérique qui reproduit les images des quelques secondes que durent l’expérience. Après sa thèse, soutenue en 2006, et un post-doc de quelques mois au CNES, il est recruté au laboratoire EM2C en qualité de maître de conférences.

 

Une recherche pluridisciplinaire en ingénierie

Le chercheur revisite les problèmes d’instabilités de combustion à la lumière de nouveaux outils scientifiques de différentes spécialités. Grâce à l’apport des mathématiciens, il obtient par exemple de nouveaux modèles descriptifs de l’évolution temporelle de la pression qui permettent d’anticiper les seuils au-delà desquels les oscillations provoquent l’explosion de la structure. « Je fais de la recherche appliquée avec des enjeux multiphysiques, revendique-t-il.  On entre dans la combustion par une discipline pour ensuite découvrir les autres : la chimie, qui décrit les mécanismes réactionnels à l’intérieur de flammes, la mécanique des fluides, qui pilote les écoulements, l’acoustique, qui couple les parois et les flammes, et la thermique, qui explore leur rayonnement et leurs interactions. Finalement, la combustion illustre parfaitement ce qu’est la recherche en ingénierie. La véritable difficulté est d’assembler toutes ces disciplines en un système complexe. » 

 

Un cercle vertueux

Le chercheur collabore avec les entreprises, moins dans une démarche d’application immédiate que dans l’objectif de créer pour leurs ingénieurs des méthodes pluridisciplinaires pour résoudre leurs problèmes. Il contribue ainsi à la compréhension de fondamentaux disciplinaires. « La combustion est un très bon exemple systémique, décrit Franck Richecoeur. Lorsqu’un ingénieur tente de dimensionner une chambre de combustion d’un turboréacteur chez Safran par exemple, il ne peut pas se contenter de prendre un code de mécanique des fluides pour l’assembler au code de chimie. Cela ne fonctionnera pas sans les outils spécifiques développés en amont par les chercheurs. »
 
De nombreux modèles multiphysiques ont été développés pour le secteur aéronautique ou celui de l’énergie. Mais depuis une dizaine d’années, la recherche en combustion se réinvente à l’aune de son impact environnemental. L’enjeu actuel est de bien comprendre les phénomènes de pollution et de nuisances sonores des combustibles et de répondre de manière très ciblée à des besoins spécifiques. « Nous étudions le comportement d’un combustible quand il passe d’un état fluide continu à des gouttelettes qui s’enflamment, explique le chercheur. Les propriétés de ce spray sont différentes si on le fabrique avec du biocarburant ou du kérosène mais il demeure une source de pollution extrêmement difficile à maîtriser. »

 

Fédérer l’ingénierie

Dès son arrivée à l’École Centrale en 2007, Franck Richecoeur s’implique dans l’accompagnement méthodologique des projets d’élèves et la création de modules de compétences : écouter, reformuler un problème, poser des hypothèses, déployer une démarche scientifique, etc. Encouragé par la direction de l’École, le chercheur prend rapidement des responsabilités académiques. La fusion avec Supélec devient l’occasion de collaborer avec des personnes aux cultures et aux bagages disciplinaires différents. L’arrivée de Franck Richecoeur à la tête de la Graduate School Sciences de l’ingénierie et des systèmes de l’Université Paris-Saclay symbolise cette volonté de fédérer l’Ingénierie.  En réunissant tout l’écosystème des sciences pour l’ingénieur de l’Université (60 laboratoires 2 500 chercheurs, 1 200 étudiants de masters et 700 doctorants), elle est un des piliers de l’Université. « L’enjeu est de bien faire comprendre ce que sont aujourd’hui la recherche et la formation en sciences de l’ingénierie. Nous souhaitons montrer qu’il existe de nombreuses voies de formation scientifique en ingénierie, en particulier avec les masters de la Graduate School », affirme Franck Richecoeur. En juillet 2021, le message est passé auprès de cinquante jeunes en classe de seconde lors du premier Summer Camp. Sélectionnés dans tous les lycées de France, ils ont passé une semaine à CentraleSupelec en immersion complète. « Nous avons pu établir de nouveaux réseaux avec des lycées très actifs », se réjouit Franck Richecoeur.

 

Franck Richecoeur