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Fragiliser les polymères vinyliques pour mieux les dégrader

Recherche Article publié le 30 juin 2022 , mis à jour le 04 juillet 2022

Au sein de l’Institut Galien Paris Saclay (IGPS – Université Paris-Saclay, CNRS), l’équipe de Julien Nicolas a conçu des polymères vinyliques aux propriétés de dégradation inédites. Ceux-ci sont composés de polyacrylamide et d’autres groupements chimiques permettant d’induire une fragilité de l’ensemble. De la nanomédecine au traitement des eaux, les applications d’un tel matériau sont nombreuses.

Les polymères vinyliques, membres de la grande famille des plastiques, sont des macromolécules obtenues par polymérisation de monomères portant une double liaison carbone-carbone. La synthèse de ce type de macromolécule est très développée et on en produit en quantités astronomiques pour de très nombreux champs d’application. Seulement, du fait de leur très grande stabilité, les polymères vinyliques ne sont pas dégradables. « En effet, les liaisons carbone-carbone qui composent le squelette des polymères vinyliques sont très résistantes, ce qui empêche la dégradation de ces matériaux, explique Julien Nicolas, directeur de l’équipe Nanomédicaments pour le traitement de maladies graves de l’IGPS. Pour les rendre dégradables, nous insérons durant la synthèse des acétals de cétène cyclique (CKA, pour cyclic ketene acetals), des monomères dégradables constituants des points de fragilité répartis tout au long de la chaîne du polymère. Les CKA sont ajoutés en fraction minoritaire (à hauteur de 23 % maximum). Ces points de fragilité vont ensuite être clivés, notamment de manière hydrolytique (par l’eau) ou enzymatique (par exemple grâce aux estérases), pour obtenir la fragmentation du polymère. »

Une stratégie de copolymérisation déjà existante

La copolymérisation radicalaire par ouverture de cycle (ou stratégie de monomère clivable) utilisée par l’équipe de Julien Nicolas est déjà largement citée dans la littérature. « En revanche, c’est la première fois que l’on met le doigt sur un système de copolymérisation entre un monomère vinylique, ici l’acrylamide, et un CKA qui donne lieu à un matériau dégradable aussi rapidement dans l’eau (de l’ordre de 70 % en sept jours) ! » Pour comparaison, des polymères biodégradables très connus comme l’acide polylactique ou la polycaprolaptone, nécessitent entre plusieurs mois et plusieurs années pour atteindre un tel stade de dégradation dans les mêmes conditions.
Outre la rapide dégradation que présentent ces nouveaux copolymères de polyacrylamide, ceux-ci sont également thermosensibles. Cela signifie que ces copolymères seront non-solubles en dessous d’une certaine température (la température de transition), mais solubles au-dessus de celle-ci. Et cette température de transition peut être ajustée en modifiant la proportion de CKA incorporés dans le polymère. Des polymères vinyliques thermosensibles de ce type existent déjà. « En revanche, ils ne sont pas dégradables. Nos nouveaux polymères combinent donc ces deux aspects », précise Julien Nicolas. 

Cette étude a été réalisée dans le contexte du projet THERMONANO, porté par Julien Nicolas et lauréat d’une bourse Consolidator Grant de l’European Research Council (ERC) en 2017. Le projet se focalise sur les nanoassemblages pour l’administration sous-cutanée de principes actifs anticancéreux. « L’idée était de transposer les chimiothérapies intraveineuses, qui sont à la fois complexes, lourdes et coûteuses pour les patientes et patients, vers des chimiothérapies sous-cutanées. Celles-ci sont plus simples à mettre en œuvre, nettement moins invasives (donc plus confortables pour les patientes et patients) et moins coûteuses. Nous voulions initialement développer des polymères thermosensibles et dégradables en nous basant sur des polypeptides synthétiques, mais malheureusement cela n’a pas fonctionné, se rappelle Julien Nicolas. C’est ainsi que nous nous sommes tournés vers cette voie alternative mettant en jeu des polymères vinyliques. Finalement, cette dégradation très rapide est une découverte liée au hasard. Nous ne l’avions pas anticipée ! » 

Des applications potentielles diverses, dans le biomédical et au-delà

La rapide dégradabilité et la thermosensibilité de ces nouveaux polymères conçus dans les laboratoires de l’IGPS constituent donc des propriétés qui en feraient des nanovecteurs de choix pour l’administration de médicaments, d’après Julien Nicolas. « C’est intéressant parce que nous pourrions formuler ce polymère en nanoparticules chargées en principes actifs. En réglant la température de transition du polymère légèrement au-dessus de 37° C, cela permettrait de libérer rapidement la totalité du principe actif par simple élévation locale de la température. Et en plus, le polymère serait par la suite dégradé et donc plus facilement éliminé du corps humain », explique le chercheur. Le polyacrylamide possède des propriétés similaires à celles du polyéthylène glycol (PEG), un polymère bien connu en nanomédecine et qui est notamment utilisé pour protéger et stabiliser les nanoparticules encapsulant de l’ARN messager (ARNm) utilisées contre la Covid-19. « Le polyacrylamide, tout comme le PEG, est biocompatible et confère des propriétés de furtivité aux nanoparticules ; c’est-à-dire qu’elles ne sont pas immédiatement reconnues par le système immunitaire, ce qui donne un temps de circulation prolongé dans le corps. Mais l’avantage du polyacrylamide, c’est qu’il est encore plus hydrophile que le PEG. » 

Au-delà des applications biomédicales, les polymères de type polyacrylamide sont couramment utilisés dans plusieurs autres secteurs industriels (traitement des eaux usées, industrie papetière, industrie textile, exploration pétrolière, etc.). La chimie développée par l’équipe de Julien Nicolas pourrait conduire au développement de nouveaux matériaux dégradables pour ces applications.

L’équipe continue également d’étudier ce polymère, notamment afin d’influer sur sa vitesse de dégradation. « La dégradation observée est très rapide, et il serait intéressant de réussir à la moduler en modifiant la structure des monomères mis en jeu afin de s’adapter au mieux à l’application visée. Par exemple, pour des nanoparticules furtives introduites dans le corps humain, une dégradation en quelques jours ou quelques semaines est plutôt pertinente. En revanche, si elle est de l’ordre de plusieurs mois voire des années, ça peut devenir trop long car cela entrainerait une accumulation de polymères dans le corps », précise Julien Nicolas. Un challenge que les chercheuses et les chercheurs de cette équipe tenteront de relever au cours des prochaines années. 

Références :

Bossion A. et al., Vinyl Copolymers with Faster Hydrolytic Degradation than Aliphatic Polyesters and Tunable Upper Critical Solution Temperatures. Nature Communications 2022, DOI: 10.1038/s41467-022-30220-y