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Étienne Fouvry : À la chasse aux nombres premiers

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 04 février 2022 , mis à jour le 04 février 2022

Professeur émérite à l'Université Paris-Saclay et membre du Laboratoire de mathématiques d'Orsay (LMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS), Étienne Fouvry a consacré sa carrière à l'arithmétique et aux nombres premiers. Ce mathématicien enthousiaste demeure fasciné par la résolution de problèmes mathématiques, dont certains irrésolus depuis des centaines d'années. L’Académie des sciences vient de lui décerner le prix Sophie Germain - Fondation de l'Institut de France 2021 en récompense de ses travaux.

Étienne Fouvry entre à l’École normale supérieure (ENS) Ulm en 1972. Passionné de mathématiques classiques, il s’oriente vers les aspects analytiques de l’arithmétique, une discipline peu en vogue en France à l’époque. Il est attiré par la construction hétéroclite et singulière de ce pan des mathématiques, fruit d'une longue histoire, car certains défis posés par des savants de l'Antiquité donnent encore du fil à retordre aux mathématiciens. « Je suis heureux de confronter mes réflexions avec celles de personnes ayant vécu il y a tant d'années », confie le chercheur.

Tout en occupant un poste d’assistant à l’Université de Bordeaux, Étienne Fouvry soutient en 1981 une thèse sur la répartition des nombres premiers dans les grandes progressions arithmétiques. Sous la direction des mathématiciens Henryk Iwaniec et Jean-Marc Deshouillers, il s'intéresse aux nombres premiers, ces nombres entiers qui ne sont divisibles que par eux-mêmes et par 1. Leur liste, qui commence par 2, 3, 5, 7…, est infinie. Aujourd’hui, le chercheur parle encore avec passion de ce sujet : « La théorie des nombres est un domaine de recherche remarquable par la limpidité des théorèmes obtenus mais redoutable par la difficulté des méthodes employées. Par exemple, j’ai étudié le comportement des nombres premiers face aux progressions arithmétiques, un concept simple qui définit des nombres éloignés d'un même intervalle, comme compter de quatre en quatre à partir de cinq. »

 

L’arithmétique : une discipline qui mérite d’être partagée

Étienne Fouvry obtient en 1985 un poste de professeur à l’Université Paris–Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay). Il partage son temps entre ses recherches et ses élèves. Enseigner est pour lui une grande chance et il en tire une grande satisfaction et un équilibre personnel. Il encadre huit thèses et établit de nombreux partenariats à l'échelle européenne. Pour lui, le partage est une valeur fondamentale. « J’ai la chance de travailler avec des collègues enthousiastes et passionnés, qui aiment confronter leurs idées et prennent du plaisir à résoudre des problèmes. » Il explique l’importance de la collaboration entre mathématiciens et mathématiciennes : « L'objectif d'une publication en mathématiques est d'arriver à un énoncé vrai. Or s'il manque une étape intermédiaire, tout l'énoncé s'effondre. Les collaborations permettent de surpasser cette difficulté. La publication d'un article s’apparente alors à une épreuve de saut à la perche : si on place la barre très haut mais qu’on ne franchit pas l’obstacle, on ne marquera pas l'histoire. Si on la place ridiculement bas, personne ne s’intéressera au résultat. Seule la coopération entre plusieurs chercheurs et chercheuses permet à la fois de placer la barre très haut et de la franchir. »



À la recherche des nombres premiers

L'un des principaux outils exploités par Étienne Fouvry dans ses travaux est la théorie du crible. Le crible d'Ératosthène, souvent abordé au collège, en est un exemple simple. Pour trouver les nombres premiers existant entre 1 et 100, on parcourt cette suite de nombres dans l'ordre croissant. Chaque nouveau nombre rencontré est noté et ses multiples sont éliminés, puis on procède de même jusqu'à la fin de la grille. Mis au point à l'Antiquité, ce crible ne répond plus aux exigences de l’arithmétique actuelle. D’autres cribles, plus efficaces, sont nécessaires. Un développement auquel Étienne Fouvry consacre ses recherches.

 

Des travaux pionniers qui ouvrent la voie

Dès les années 1980, Étienne Fouvry étudie les nombres premiers jumeaux, éloignés de deux unités, tels que 3 et 5, 5 et 7, 11 et 13... Comme de nombreux arithméticiens et arithméticiennes, il souhaite prouver qu'il en existe une infinité. Il contribue fortement à ce domaine et ses travaux sont cités dans l'article charnière du mathématicien chinois Yitang Zhang qui démontre qu’il existe une infinité de nombres premiers dont la différence est moindre que 7 · 107. Un autre de ses premiers travaux, présenté en 1985, aide trois autres mathématiciens à établir le test de primalité AKS en 2002. Grâce à ce test, il est possible de savoir facilement si un nombre est premier. 

Après dix années de travail sur ces grandes progressions arithmétiques, le mathématicien oriente ses recherches dans une nouvelle direction. « Je tournais en rond. Or je pense que les mathématiques doivent être faites avec plaisir. Il faut savoir changer de sujet et garder un esprit curieux pour ne jamais s'ennuyer. » Il réalise alors l'une des avancées les plus importantes de sa carrière En 1997, en collaboration avec Henryk Iwaniec, il met en lumière un nouvel ensemble infini de nombres premiers. Il s’agit de ceux qui se décomposent en une somme du carré d’un nombre entier et du carré d’un nombre premier. Les premiers éléments de cette suite sont donc : 5 = 12 + 22, 13 = 22 + 32, 29 = 22 + 52... On les appelle maintenant nombres premiers de Fouvry–Iwaniec.

Par la suite, le mathématicien avance dans la compréhension de l'équation négative de Pell, écrite x2 - dy2 = -1. Élaborée à partir d'un problème remontant à l'époque d'Archimède, elle n’a, selon la valeur de « d », pas toujours de solution. Étienne Fouvry réussit à établir un grand nombre de cas où l’équation est résoluble.

 

Le prix Sophie Germain et la longue tradition de la théorie des nombres

Récemment, l’Académie des sciences a choisi de récompenser les travaux d’Étienne Fouvry en lui décernant le prix Sophie Germain, ainsi nommé en l'honneur d'une pionnière de l'arithmétique du XVIIIe siècle. « Je suis particulièrement heureux d'avoir reçu le prix qui porte son nom », confie Étienne Fouvry. Cette mathématicienne autodidacte, qui a dû batailler pour s'imposer dans le milieu scientifique de son époque, a laissé en héritage un théorème sur les nombres premiers et des travaux en physique et philosophie.

Comme Sophie Germain, Étienne Fouvry s’est intéressé au dernier théorème de Fermat. Depuis la découverte en 1670 de l’annotation laissée par le mathématicien Pierre de Fermat dans la marge d’un livre, ce théorème déchaîne les passions. « Un cube n’est jamais la somme de deux cubes, une puissance quatrième n’est jamais la somme de deux puissances quatrièmes, et plus généralement aucune puissance supérieure stricte à deux n’est la somme de deux puissances analogues, rapporte Étienne Fouvry. J’ai découvert une merveilleuse démonstration, mais la marge est trop étroite pour la contenir. »

Des générations de mathématiciens et de mathématiciennes ont cherché à prouver la véracité de ce théorème pour tous les cas, en procédant par étape et en élargissant la preuve à des ensembles de puissances de plus en plus importants. Peu après 1800, Sophie Germain y apporte d’ailleurs une contribution importante, sur laquelle s'appuie Étienne Fouvry en 1985 pour pousser la réflexion plus en avant. En 1994, Andrew Wiles en fait finalement la démonstration complète. 

À la retraite depuis trois ans, Étienne Fouvry est aujourd’hui professeur émérite. Il s’intéresse maintenant aux formes binaires de degré quelconque et aux fonctions traces. Il pense bientôt démarrer d'autres collaborations pour explorer de nouveaux domaines. « Je ne sais pas où me mèneront mes prochains travaux. Une simple discussion avec un collègue peut tout à coup faire surgir un problème intéressant », admet avec passion le chercheur.

 

Etienne Fouvry (Crédits UPSaclay/Christophe PEUS)