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Encourager une science ouverte autant que possible - L'Edition #13 (juin 2020)

Recherche Article publié le 16 juillet 2020 , mis à jour le 16 juillet 2020

(Article issu de l'Edition n°13 - juin 2020)

 

Les initiatives destinées à promouvoir la science ouverte se multiplient à l’Université Paris-Saclay. L’Université définit son positionnement politique et se retrouve au cœur de dispositifs nationaux, européens et internationaux.

 

« La science est un bien commun que nous devons partager le plus largement possible », déclarait le 4 juillet 2018 la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, dans son discours de lancement du « Plan pour la science ouverte ». Ce plan de politique publique porté par le ministère fait écho à la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. Il vient réaffirmer la nécessité d’ouvrir davantage les résultats de la recherche scientifique (articles, ouvrages et données), et d’assurer leur diffusion sans entrave, ni délai ou paiement.

Sa raison d’être ? Un système éditorial devenu incohérent, où les chercheurs publient leurs articles dans des revues à comité de lecture, mais pour lesquels leurs institutions doivent payer de plus en plus cher afin d’accéder au contenu des publications de leurs pairs, pourtant fourni et évalué gratuitement. Un système oligarchique, verrouillé par une poignée de gros éditeurs, propriétaires de la majeure partie des revues – notamment les plus prestigieuses –, et qui rend le public captif. Un système dévoyé, qui privatise des connaissances produites avec l’argent public, matraque les institutions à coups d’abonnements prohibitifs et crée des inégalités. Pour exemple, l’Université Paris-Saclay dépense en 2020 deux millions d’euros en frais d’abonnements, dont 700 o00 euros pour Elsevier, et a fait le choix de se désabonner de Springer depuis 2018.

Pour corriger ce mode de fonctionnement, des principes de science ouverte alimentent depuis plusieurs années initiatives et stratégies d’action aux échelles institutionnelle, nationale et européenne. Comme l’annonçait Frédérique Vidal : « La France s’engage pour que la science ouverte devienne la pratique quotidienne par défaut des chercheurs ». De fait, le plan français souhaite généraliser l’accès ouvert des publications, que le dépôt se fasse dans des revues nativement en accès ouvert ou en parallèle d’une publication dans une revue traditionnelle, dans une archive ouverte publique comme les plateformes HAL portée par le CNRS ou ArXiv de l’université Cornell aux États-Unis.

Car l’article 30 de la loi de 2016 fournit un nouveau droit aux auteurs et change la donne : en cas de recherche financée au moins à 50 % par l’État, l’auteur peut déposer sa publication scientifique dans une archive ouverte six mois – pour les sciences techniques et médicales – ou douze mois – pour les sciences humaines et sociales – après sa parution chez un éditeur. « Et si le contrat avec l’éditeur mentionne le contraire, il est réputé non écrit », ajoute le spécialiste du ministère, Marin Dacos, conseiller scientifique pour la science ouverte auprès du Directeur général de la recherche et de l’innovation. Résultat : en 2019, 49 % des publications des chercheurs français ont été déposées en accès ouvert. Un chiffre qui croit d’année en année, avec quelques disparités selon les disciplines.

 

Vers 100 % des publications en libre accès

Science ouverte 1 - L'Edition 13

À Paris-Saclay, on suit le mouvement et l’Université définit ses propres orientations en la matière, en accord avec le cadrage national et les réseaux nationaux, européens et internationaux. Sylvie Retailleau, la Présidente de l’Université Paris-Saclay, commente : « Il nous faut désormais franchir un cap politique. En 2020, nous allons consolider notre charte en science ouverte et encore davantage inciter les personnes à publier sur les plateformes en accès ouvert. Nous avons atteint une maturité suffisante pour nous positionner sur celles à privilégier, mettre des outils à disposition des chercheurs et réfléchir à la façon de valoriser les personnes qui s’inscrivent dans une démarche de science ouverte, notamment lors des campagnes de recrutement ou de promotion. L’application des premières dispositions interviendra probablement en 2021, après discussion et vote au conseil académique de l’Université. »

Étienne Augé, récemment nommé Vice-Président adjoint science ouverte à l’Université Paris-Saclay, confirme : « Il nous faut encore faire de gros efforts d’information et de sensibilisation des chercheurs, dès le doctorat, et mettre en place des modalités de formation ciblées en fonction des disciplines. Mais tout le monde a envie de bien faire. »

« Un certain nombre d’actions ont été déclinées à cet effet : fiches pratiques, formations, journées d’étude…, commente Julien Sempéré, préfigurateur de la direction en charge des bibliothèques à l’Université Paris-Saclay, direction très impliquée dans l’accompagnement de cet axe. Nous développons aussi une échelle de compétences attendues et réalisons des vidéos pédagogiques ayant pour thème ce qu’est une archive ouverte, un éditeur prédateur, etc. »

En 2018, sur les 15 133 publications signées par les chercheurs de l’Université Paris-Saclay, 7 241 ont été déposées sur des plateformes en libre accès, soit 47 %. « Publier sa recherche en accès ouvert, ce n’est pas mettre en danger sa recherche, c’est montrer ce sur quoi on travaille, souligne Julien Sempéré. Parfois, le chercheur n’ose pas déposer sa publication sur une archive ouverte car il pense que le droit de l’éditeur l’emporte sur le droit national. Il faut désormais l’aider à adopter une attitude décomplexée à ce sujet. »

Aujourd’hui, la plateforme HAL héberge une grande partie de la production de l’Université, qui y possède une collection spécifique. L’objectif est maintenant d’apporter aux chercheurs une expérience utilisateur de meilleure qualité, « comme afficher les publications dans une interface utilisateur adaptée. On va encore davantage les accompagner dans le dépôt de leurs publications et leur faciliter la vie », commente Julien Sempéré. Outre HAL, l’Université promeut également d’autres plateformes assurant une diffusion des publications selon un modèle économique vertueux, telles que DOAJ (Directory of Open Access Journals), ArXiv ou OpenEdition.

 

Des données qui ont de la valeur

Autre production inhérente à tout travail de recherche, les données – « la matière première de la connaissance », rappelle Frédérique Vidal – représentent le second gros volet du Plan national pour la science ouverte. « Les partager, c’est ouvrir de nouvelles perspectives scientifiques ». L’article 6 de la loi pour une République numérique fait d’ailleurs état d’un principe d’ouverture par défaut de toutes les données administratives, qui englobent les données de recherches achevées. « Les institutions publiques – universités et organismes de recherche – ont désormais une nouvelle obligation vis-à-vis des données, car si les chercheurs possèdent leurs articles, les données de la recherche appartiennent à leur employeur. C’est une vérité juridique et aux établissements de s’en saisir ! », signale Marin Dacos.

À l’Université Paris-Saclay, la réflexion est lancée mais « l’application de mesures claires nécessitera davantage de temps que pour les publications, confie Sylvie Retailleau. Il nous faut d’abord développer des politiques de sauvegarde, initier un travail technique et faciliter la compréhension de ce que représente la science ouverte pour les données de recherche. » Car vouloir ouvrir les données n’empêche pas quelques restrictions, certaines données – personnelles, financières, médicales, défense… – devant rester fermées. « Ceci n’est souvent pas le critère limitant, car, par manque de sensibilisation et d’effort global auprès et au sein de la communauté de la recherche, on n’a pas osé partager des données qui auraient pu l’être », note Julien Sempéré.

 

S’assurer une bonne gestion des données

Science ouverte 2 - L'Edition 13

Pour appuyer dans ce sens, aujourd’hui tout projet de recherche financé par la Commission européenne et l’Agence nationale de la recherche (ANR) doit obligatoirement disposer d’un plan de gestion des données (Data management plan). « Celui-ci indique par exemple quels types de données de recherche vont être récupérés et sous quelles formes, et les utilisations prévues », explique Étienne Augé.

Une bonne gestion des données comporte de nombreux avantages : une fois déposées dans un entrepôt, les données deviennent visibles et peuvent être citées en référence, au même titre que les publications scientifiques. « Les rendre accessibles, c’est aussi un gage de confiance vis-à-vis de la recherche effectuée », continue Étienne Augé. Marin Dacos abonde : « La science est cumulative. Des efforts de recherche qui resteraient fermés ont de grandes chances d’être redondants, et d’engendrer un manque à gagner et une perte d’innovation. Le premier bénéficiaire de tout ça, c’est finalement le chercheur qui, en déposant ses données sur un entrepôt, s’assure de leur bonne conservation et facilite leur réutilisation. »

 

Produire des métadonnées

Science ouverte 3 - L'Edition 13

Instrumentation, archives, imagerie… Les données produites à l’Université Paris-Saclay sont d’ailleurs d’une extraordinaire diversité. « Elle est telle qu’il est très complexe d’en avoir une vision globale et que cela nécessitera une implication collective », souligne Julien Sempéré. Pour l’heure, sur les 400 projets H2020 – terminés ou non – portés par des chercheurs de l’Université et soutenus par l’ANR, 38 d’entre eux ont déposé des données en libre accès, soit 10 %.

« La pratique entre doucement dans les mœurs, même si elle se heurte à un obstacle de taille : il faut investir du temps pour bien ranger et indexer les données, autrement dit produire des métadonnées, concède Julien Sempéré. Par exemple, avec Christine Hatté, chercheuse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Université Paris-Saclay, UVSQ, CNRS, CEA), nous mettons au point un vocabulaire précis de description du lœss, ces sédiments déposés par les vents pendant les périodes glacières. Pour qu’un échantillon puisse ensuite être repris par d’autres chercheurs, il faut correctement répertorier les conditions et le contexte de son prélèvement et de sa conservation - météo du jour, matériaux environnants, orientation magnétique de la paroi, préparation et nettoyage de la paroi, température et temps de séchage après échantillonnage… »

Autre enjeu appliqué aux données : le stockage et le traitement. L’Université dispose depuis quelques années, sur le campus d’Orsay, d’une installation – Virtual Data – hébergeant gratuitement et localement les données déposées par les chercheurs. « On envisage maintenant de mutualiser à plus grande échelle d’autres ressources informatiques et tester un système de stockage sous la forme de cloud », signale Étienne Augé.

 

Encore plus de participation citoyenne

Dernier volet du Plan national pour la science ouverte, la science citoyenne trouve un fort écho à Paris-Saclay. « L’Université s’y investit beaucoup, notamment par le biais de la Diagonale Paris-Saclay qui amène les citoyens à réfléchir et débattre autour de sujets clés de société. Avec la MISS – Maison d’initiation et de sensibilisation aux sciences –, nous veillons également à diffuser la culture scientifique auprès des scolaires, un côté « main à la pâte » non dépourvu de sens citoyen. Un aspect qui se retrouve aussi dans les enseignements dispensés aux étudiants, puisque les enseignants de l’Université y intègrent des problématiques liées à l’éthique, l’intégrité, l’égalité homme-femme, le développement soutenable, etc. », détaille Sylvie Retailleau.

La science citoyenne, c’est aussi la participation des citoyens à de vastes projets scientifiques faisant appel à une main d’œuvre motivée pour la réalisation de tâches ne nécessitant pas de connaissances scientifiques spécifiques. « La science participative est un moyen de produire des connaissances de première importance sur certains sujets difficiles, et d’amener le grand public à s’intéresser à la science. Il faut valoriser le travail de ces personnes, et cela passe par l’animation de cette communauté et la mise au point d’outils dédiés », commente Étienne Augé. Le 30 avril dernier, l’Université Paris-Saclay a répondu au premier appel à projet financé par le Fonds national pour la science ouverte et doté d’une enveloppe globale de deux millions d’euros. « Nous avons postulé pour financer l’évolution de la plateforme Bibliolabs. Nous avons également candidaté avec la revue Pssst ! (Paris-Saclay sciences et société) et proposé la création des annales de l’Institut Pascal », indique Étienne Augé. Résultats attendus en octobre 2020.

 

Références :

www.ouvrirlascience.fr

www.universite-paris-saclay.fr/recherche/science-ouverte

www.youtube.com/watch?v=1IOnCEh34Nc&list=PLyeHq-UkjFkUIwwTZO4BS39qP-lmIlOna&index=18&t=0s