D.Terre : De l’assiette à la dépollution des sols grâce aux enzymes

Innovation Article publié le 06 novembre 2025 , mis à jour le 07 novembre 2025

Il y a des hasards qui font bien les choses. Alors qu’il se destine à la médecine, Simon Morin entreprend des études de biologie de synthèse. Quelques années plus tard, ce virage change tout. En 2025, il entre avec ses associées Aïda et Nadia Tajine dans le palmarès des inventeurs du journal Le Point grâce à D.Terre, un projet de start-up qui s’attaque à la dépollution des sols à l’aide de protéines naturelles : les enzymes.

Les plus beaux succès ont parfois des débuts inattendus. En 2019, Simon Morin est un étudiant plein d’ambition, bien décidé à faire médecine. Malheureusement, il est refusé. Ce coup du sort se révèle toutefois déterminant pour lui, car cette porte fermée lui en ouvre une autre, celle de la biologie. Une simple vidéo envoyée par son grand-père, un documentaire sur la biologie de synthèse, lui fait voir de nouveaux horizons. Cette discipline scientifique, qui met en avant une nouvelle façon de penser le vivant, aborde la biologie avec une approche en ingénierie. « J’ai trouvé cette conception incroyable. Je crois même que je n’avais pas fini le documentaire avant de me dire : «OK, c’est ça que j’ai envie de faire !" », confie Simon Morin.
Il se lance alors dans le Master of Systems and Synthetic Biology (MSSB) à l’Université d’Évry, avant de poursuivre en thèse à l’institut Microbiologie de l’alimentation au service de la santé humaine (Micalis – Univ. Paris-Saclay/INRAE/AgroParisTech). Son sujet : Mettre en place un système orthogonal de transcription invasive pour la production de protéines d'intérêt. Pour résumé, il s’agit de mettre en place un système génétique de redirection des ressources internes d’une bactérie vers la production de protéines d’intérêt industriel, de façon à optimiser la production de protéines.

Lors d’une réunion d’équipe du laboratoire, un élément retient particulièrement son attention. « Cela m’a inspiré une idée. J’en ai alors parlé à mes deux amies, Aïda et Nadia Tajine. » Les trois jeunes gens, qui se sont rencontrés quelques années auparavant lors d’une formation à Sorbonne Université et se sont rapidement liés d'amitié, sont animés par une même ambition : donner vie à des projets à impact. C’est ainsi que l’aventure D.Terre voit le jour.

L’instabilité des enzymes

Leur projet s’intéresse à des petites protéines produites par les cellules et capables d’accélérer des réactions chimiques : les enzymes. Elles sont présentes partout au quotidien : on les trouve dans les lessives, les cosmétiques, l’agroalimentaire, la pharmacie... Elles comportent toutefois une faiblesse : leur instabilité. En dehors de leur milieu protégé, elles perdent leur fonctionnalité en quelques heures. « Nous avons trouvé ça dommage, car les enzymes représentent un potentiel énorme de dépollution. Ce sont des produits naturels, biodégradables et inoffensifs qui peuvent remplacer des procédés polluants », explique Simon.

Le cofondateur et les deux cofondatrices de D.Terre travaillent alors à produire une structure biologique servant d’ancrage aux enzymes, afin de les stabiliser dans le temps et les rendre capables de faire face à diverses agressions (température, etc.). Ce qui augmente leur durée de vie et donc leur champ d’applications.

En s’attaquant à la production d’enzymes, D.Terre s’ouvre à plusieurs marchés, comme la cosmétique et l’agroalimentaire, déjà familiers avec l’usage d’enzymes dans leurs produits. Dans les crèmes antioxydantes, les enzymes y ont un double effet : elles améliorent l’aspect de la peau et agissent comme des conservateurs naturels c’est-à-dire qu’elles aident à maintenir le produit stable et à empêcher la croissance de bactéries ou de moisissures, prolongeant sa durée de vie sans avoir recours à des additifs chimiques. On retrouve cette même logique dans le secteur de l’agroalimentaire. « On développe des antioxydants enzymatiques capables de travailler en synergie avec des antioxydants bien connus comme la vitamine E ou C. L’objectif est de renforcer l’efficacité de ces molécules tout en élargissant leur spectre d’action », explique le cofondateur.

Mais l’ambition du projet D. Terre va bien au-delà des crèmes et des aliments. Il souhaite avoir un impact environnemental plus large et s’oriente vers la dépollution des sols, d’où son nom. Comment ? En ciblant les polluants organiques, comme les dérivés d’hydrocarbures, typiques des sites industriels. Aujourd’hui, les méthodes utilisées pour dépolluer ces sites restent longues et coûteuses, alors que les contraintes économiques exigent des délais courts. Les enzymes viennent alors en renfort. Elles accélèrent les processus naturels en catalysant la dégradation des polluants et en préparant le terrain pour les bactéries. Ces dernières transforment ensuite les polluants en substances totalement inoffensives pour l’environnement. D.Terre souhaite élargir le spectre des polluants traités, accélérer les traitements et ainsi préserver l’environnement.

L’accompagnement clé de l’écosystème Paris-Saclay

Lancer un projet quand on est encore étudiant ou étudiante, doctorant ou doctorante avec peu de moyens, n’est jamais simple. L’écosystème d’Innovation Alliance Université Paris-Saclay*, le Pôle universitaire d’innovation (PUI) porté par l’Université Paris-Saclay, regorge néanmoins de dispositifs pour accompagner les jeunes porteurs et porteuses de projets.
L’équipe D.Terre s’est notamment appuyée sur le soutien d’un établissement membre partenaire du PUI, le Genopole. À travers son programme Shaker, le biocluster offre aux jeunes entrepreneurs et entrepreneuses un accès à un laboratoire, à un financement et à des formations pendant un an. « C’est ce dispositif qui a véritablement lancé le projet », confie Simon.
En 2024, Simon participe à l’aventure Starthèse start’up pitch-ID, un concours de pitch proposé par la Maison du doctorat de l’Université Paris-Saclay dans le cadre du PUI, et termine lauréat. Un coup de projecteur qui permet au projet de se faire connaître de l’écosystème. Il remporte, grâce à cette initiative, un accompagnement par IncubAlliance, l’incubateur de la recherche publique de Paris-Saclay. « Ils nous soutiennent et nous conseillent. Ils ont une activité de support cruciale pour le développement d’une jeune entreprise comme la nôtre », explique le jeune entrepreneur. AgroParisTech, membre fondateur du PUI, est également un acteur majeur dans le développement du projet grâce à un concours remporté en 2025 avec, à la clé, un financement.
Mais c’est bien tout l’écosystème d’Innovation Alliance Université Paris-Saclay qui soutient les projets comme D.Terre à travers des accompagnements financiers, techniques, commerciaux et marketing. « Selon moi, on y trouve l'ensemble des besoins qu’ont les jeunes sociétés, en particulier dans le domaine de la deeptech », ajoute Simon.

Une reconnaissance par les pairs et la poursuite de l’aventure entrepreneuriale

Au-delà de cet écosystème, D.Terre rencontre d’autres succès. Au premier semestre 2025, Simon et ses deux associées entrent dans le Palmarès des Inventeurs 2025 du journal Le Point qui récompense celles et ceux qui repoussent les frontières de l’innovation. « Ces distinctions apportent une crédibilité. Il y a toujours cette idée qu’un projet prend une existence concrète quand il est reconnu par ses pairs. Ça nous a permis de faire de belles rencontres et c’est ce qui fait évoluer notre start-up », explique l’entrepreneur.
Maintenant que la start-up a officiellement été créé en octobre 2025, l’idée, pour ses cofondateur et cofondatrices, est de revenir au cœur du projet, c’est-à-dire aux manipulations scientifiques et les tests. Pour tenir la distance, les trois entrepreneur et entrepreneuses cherchent dès aujourd’hui les bons soutiens, ceux qui aideront l’aventure à durer dans le temps. Si tout se passe comme prévu, l’année 2026 marquera une étape clé : celle du lancement du premier prototype et avec lui, le début d’une véritable histoire commerciale. « En tant que petite structure, on est toujours en recherche d’expertise et de conseils de la part de chercheurs, chercheuses aguerries et de personnes du monde scientifique », conclut Simon Morin.
Beaucoup d’étapes restent encore à franchir pour le trio, mais l’énergie et l'ambition sont bien là.

* Innovation Alliance Université Paris-Saclay est un Pôle universitaire d’innovation (PUI) regroupant l’Université Paris-Saclay, l’Université d’Évry, l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, AgroParisTech, CentraleSupélec, l’ENS Paris-Saclay, l’Institut d’Optique Graduate School, le CNRS, l’INRAE, Inria, l’Inserm, IncubAlliance, la SATT Paris-Saclay, et quinze partenaires, CEA Paris-Saclay,, ONERA - l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, Gustave Roussy, Genopole ; Institut de recherche technologique SystemX ; Institut pour la Transition Énergétique Vedecom ; Communauté d’agglomération de Paris-Saclay ; Communauté d’agglomération Saint-Quentin-en-Yvelines ; Communauté d’agglomération Grand Paris Sud ; Association Vallée Scientifique de la Bièvre ; Etablissement public territorial (EPT) Grand Orly Seine Bièvre ; Systematic ; Medicen ; French Tech Paris-Saclay ; EPAPS - Etablissement public d’aménagement de Paris-Saclay, financé par l’État dans le cadre de France 2030.