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Des champs magnétiques colossaux à l’origine des hypernovæ

Recherche Article publié le 08 juillet 2021 , mis à jour le 23 juillet 2021

Les supernovæ, ces explosions stellaires qui marquent la voûte céleste pendant plusieurs mois, sont des phénomènes les plus extrêmes de l’Univers. Les plus intenses d’entre elles, les hypernovæ, sont décrites par une amplification prodigieuse du champ magnétique. Un mécanisme qui réserve encore bien des secrets et que tente de décrypter le projet MagBURST porté par Jérôme Guilet du Département d'astrophysique / Astrophysique, Instrumentation et Modélisation de Paris-Saclay.

Les supernovæ font partie des éléments célestes les plus brillants. La première observation confirmée d’une supernova date de l’an 185, bien que l’on trouve dans les archives des mentions d’objets célestes semblables dès le quatrième millénaire av. J.-C. Ces puissantes explosions font suite à l’effondrement du noyau d’une étoile massive qui a épuisé son combustible nucléaire. Les couches externes de l’étoile sont alors éjectées, laissant derrière elles une étoile à neutrons, parfois appelée magnétar quand il y règne les champs magnétiques les plus intenses de l’Univers. Dans le cadre du projet MagBURST (Magnetars as engines of hypernovæ and gamma-rays bursts), pour lequel il a reçu une bourse ERC Starting Grant, Jérôme Guilet, chercheur au Département d'astrophysique / Astrophysique, Instrumentation et Modélisation de Paris-Saclay ((DAp/AIM – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. de Paris), étudie depuis 2017 ces phénomènes d’une puissance colossale et responsables des supernovæ extrêmes, les hypernovæ.

Des explosions colossales et énigmatiques

La communauté des supernovæ a déjà élaboré un certain nombre de modèles phénoménologiques d’explosions extrêmes dues à des magnétars. « Ces modèles reproduisent assez bien les magnétars à condition de faire varier leur rotation et leur champ magnétique de façon adéquate, explique Jérôme Guilet. Dans ce projet, l’objectif est d’étudier la genèse du champ magnétique dès la formation de l’étoile à neutrons, et les conséquences sur les explosions extrêmes. »

Deux mécanismes sont potentiellement à l’origine d’une telle amplification du champ magnétique, atteignant des valeurs de 1015 Gauss (G), soit 1011 Tesla (T), un milliard de fois plus élevées que les champs magnétiques artificiels les plus intenses. D’une part, un effet dit de dynamo convective, semblable aux mouvements du noyau liquide de la Terre qui génère le champ magnétique terrestre. D’autre part, l’instabilité magnéto-rotationnelle, le couplage entre la rotation de l’astre et son champ magnétique, bien connu des astrophysiciens qui étudient les disques d’accrétion mais peu employé par la communauté des supernovæ.  L’efficacité d’amplification du champ magnétique de ces deux mécanismes reste cependant difficile à estimer.

Rendu 3D des simulations de la formation d’un magnétar par l’instabilité magnéto-rotationnelle. A&A 645, A109 (2021).
Rendu 3D des simulations de la formation d’un magnétar par dynamo convective. Science advances, 6 (11), eaay2732.

Une approche astucieuse

La dynamique des fluides astrophysiques fait souvent face à des barrières numériques. Dans le cas des magnétars par exemple, les phénomènes sont intrinsèquement tri-dimensionnels, très sensibles aux petites échelles spatiales et les temps de calcul en souffrent. Les modèles sont donc en règle générale locaux et ne considèrent qu’une partie de l’étoile. Ils mettent en évidence une amplification du champ magnétique mais qui reste difficile à saisir dans sa totalité.

Jérôme Guilet et son équipe exploitent une approximation mathématique qui consiste à filtrer les ondes sonores, peu utiles à l’étude des mouvements turbulents subsoniques au cœur de l’étoile. Cette simplification réduit considérablement la complexité numérique et fournit une meilleure résolution ou une plus grande échelle spatiale. De cette façon, le chercheur montre que le mécanisme de dynamo convective est le plus efficace pour amplifier le champ magnétique et créer ces magnétars. Il retrouve par ses simulations les valeurs de champ déduites des observations, un premier pas d’importance dans la compréhension de ces mécanismes intriqués. 

Ces simulations ont mené à une autre observation inattendue.  « On observe que la composante dipolaire du champ magnétique est systématiquement perpendiculaire à l’axe de rotation de l’étoile alors qu’on la suppose en général alignée » explique Jérôme Guilet. Il s’est tourné vers des champs magnétiques plus complexes, des champs multipolaires, qui se sont avérés être moins efficaces à produire des explosions extrêmes que la composante dipolaire.

« La question est maintenant d’aller plus loin qu’un ordre de grandeur et de reproduire la distribution du champ magnétique, et de comprendre l’influence des paramètres propres à l’étoile, tels que sa rotation ou la masse qui s’effondre, sur ce champ magnétique. Cela demande un lien entre plusieurs domaines d’astrophysique. C’est l’étape suivante », estime Jérôme Guilet.

 

Scruter l’Univers à la recherche d’indices

La grande difficulté en astrophysique est de contraindre le modèle et de fixer des paramètres. Car à ce jour, les astrophysiciens n’ont que peu d’indices concernant les mécanismes d’explosion extrême. Les observations de la voûte céleste n’offrent que des courbes de lumière, où l’intensité lumineuse est fonction du temps, ou des spectres de lumière. Avec leurs modèles, les scientifiques reconstituent la supernova issue de leur magnétar simulé pour la comparer aux observations. Ces contraintes sont indirectes et dépendantes du modèle utilisé. L’étude de Jérôme Guilet porte en outre sur le mécanisme de formation des magnétars, ce qui représente quelques secondes à l’échelle du noyau de l’étoile. Loin derrière les jours ou semaines d’observations nécessaires à l’échelle globale de la supernova. 

Plusieurs pistes nourrissent l’espoir de Jérôme Guilet, et de tant d’autres : les signaux électromagnétiques mesurés comportent potentiellement d’autres informations. De récentes observations suggèrent par exemple que les sursauts radio rapides, de brèves impulsions radiofréquences en provenance de l’Univers lointain, sont peut-être liés à la dissipation de l’énergie magnétique du magnétar. Si des oscillations temporelles régulières de ces signaux venaient à être détecter, la vitesse de rotation du magnétar pourrait en être extraite.

À plus long terme, de nouveaux projets et infrastructures seront bientôt à disposition de la communauté scientifique. Le satellite SVOM, lancé fin 2022, captera les sursauts de rayonnement gamma des explosions, permettant de les observer à des distances bien plus grandes et en plus grand nombre. C’est aussi le but de l’observatoire Vera C. Rubin qui en scrutant régulièrement une vaste partie du ciel fournira une quantité de données inédite.

D’autres éléments montrent également un fort potentiel, comme les ondes gravitationnelles, ces oscillations de l’espace-temps prédites par Einstein et observées pour la première fois en 2015. Elles promettent de nombreux indices concernant les magnétars et les hypernovæ. Mais il faudra se montrer patient, car la nouvelle génération de détecteurs d’ondes gravitationnelles Cosmic Explorer et Einstein Telescope, suffisamment performants, ne sera prête que dans une dizaine d’années.

« On serait dès aujourd’hui en capacité d’observer une supernova si elle se produisait dans notre galaxie. En principe, il en apparaît deux à trois par siècle. Or rien ne dit qu’elles formeraient un magnétar, car cela n’arrive que dans 10 à 20 % des explosions. Comme cet événement est relativement rare, aucune observation n’a pour l’heure été faite au moyen des ondes gravitationnelles. Il faudrait un peu de chance pour cela. Cela nous donnerait énormément d’informations. C’est pour cette raison qu’il faut pousser nos observations plus loin », présage Jérôme Guilet.

 

Références :