
Charles-Antoine Dutertre : l’immunologie au service de la lutte contre le cancer
Charles-Antoine Dutertre, chercheur au sein de l’unité Immunologie des tumeurs et immunothérapie contre le cancer (ITIC - Univ. Paris-Saclay/Inserm/Gustave Roussy) et membre de l’unité Analyse moléculaire, modélisation et imagerie de la maladie cancéreuse (AMMICA - Univ. Paris-Saclay/CNRS/Inserm/Gustave Roussy), poursuit des recherches en immunologie pour améliorer la prise en charge des patientes et patients atteints de cancer. Il est nommé Highly Cited Researcher depuis 2023.
Charles-Antoine Dutertre entreprend des études de biologie à l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) en 1997, puis intègre le magistère de génétique de l’Université Paris 7 - Denis Diderot (aujourd’hui Université Paris Cité). En 1999, lors d’un stage au laboratoire de Biophysique moléculaire de l’Université Pierre et Marie Curie, il explore l’interaction entre l’ADN et des porphyrines - des molécules impliquées dans divers processus biologiques - par spectroscopie Raman.
L’été suivant, un stage à l’hôpital Rambam en Israël l’amène à analyser une mutation spécifique d'un gène connu pour son rôle dans la prédisposition génétique au cancer du sein. En 2001, lors d’un séjour Erasmus à l’Université de Leicester, il étudie comment les cellules tumorales rallongent leurs télomères. « Ces expériences ont renforcé mon intérêt pour la génétique appliquée à la compréhension des mécanismes pathologiques, en particulier dans le domaine du cancer. »
Il poursuit avec un DEA (l’équivalent d’un master 2 aujourd’hui) d’oncogenèse à l’Université Paris 7, avant de suivre en 2002 le mastère spécialisé Masternova, centré sur l’innovation biotechnologique, à l'Institut national agronomique Paris-Grignon et la Reims Management School. « Cette immersion entre recherche académique et application industrielle m’a conduit vers l’immunologie, un domaine en pleine expansion à l’époque. »
Immersion en immunologie et découverte d’un anticorps thérapeutique
Convaincu de l’intérêt des thérapies ciblées, Charles-Antoine Dutertre entame en février 2004 une thèse en immunologie au Centre de recherche des cordeliers (Inserm), grâce à une bourse CIFRE et en partenariat avec le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB). Ses travaux, soutenus en 2008, conduisent à la conception d’un anticorps monoclonal anti-CD20 optimisé pour activer spécifiquement les cellules immunitaires tueuses. Ce traitement est aujourd’hui commercialisé par la société biopharmaceutique TG Therapeutics sous le nom d’ublituximab (Briumvi). « Nous voulions maximiser l’action des cellules immunitaires tout en minimisant les effets secondaires. »
À l’issue de sa thèse, il se spécialise dans l’étude des cellules du système immunitaire, qu’elles appartiennent à l’immunité innée, qui constitue la première ligne de défense contre les infections, ou à l’immunité adaptative, qui assure une réponse plus ciblée et mémorise les agents pathogènes pour une protection durable. Le chercheur développe une expertise en génétique, biologie moléculaire et immunologie, qu’il applique à la compréhension des interactions immunitaires dans des contextes variés, allant des maladies infectieuses aux cancers.
L’Institut Cochin : immunologie appliquée à l’infection par le VIH
En mars 2009, Charles-Antoine Dutertre rejoint l’Institut Cochin pour un post-doctorat de trois ans. Il y étudie le rôle des cellules immunitaires dans la persistance de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les mécanismes d’inflammation chronique associés. L’une de ses découvertes concerne une sous-population de monocytes impliquée dans l’inflammation délétère chez les personnes vivant avec le VIH. « Ces travaux éclairent les mécanismes d’inflammation chronique et de persistance du virus. »
Le chercheur caractérise également chez le macaque rhésus, un modèle animal de référence pour l’étude du VIH, une sous-population de cellules dendritiques indispensable à l’activation des lymphocytes T, cellules clés dans la réponse immunitaire. « Mieux comprendre ces populations rend possible d’envisager de nouveaux outils thérapeutiques ou vaccins destinés à renforcer l’immunité. »
Singapour : une approche globale des cellules myéloïdes
En 2013, Charles-Antoine Dutertre s’installe à Singapour, où il reste jusqu’en 2020. Il intègre la Duke-NUS Medical School et collabore avec le Singapore Immunology Network (SIgN), s’attelant à l’étude des cellules myéloïdes à grande échelle. Ces cellules sont essentielles à la détection des agents pathogènes, à l’activation de la réponse immunitaire et à la régulation de l’inflammation. Il étudie leur implication dans ces mécanismes en exploitant des technologies de pointe. En sept ans, il co-signe une cinquantaine de publications dans des revues scientifiques de premier plan. Parmi ses avancées, il identifie des progéniteurs circulants, c’est-à-dire des cellules immatures présentes dans le sang, capables d’évoluer en cellules dendritiques humaines matures. Il met également en évidence une nouvelle population de cellules inflammatoires de cette lignée, impliquée dans diverses pathologies dont les hépatites B et C, les inflammations chroniques et les cancers.
Travaux à l’Inserm et à l’Institut Gustave Roussy
En septembre 2020, Charles-Antoine Dutertre est nommé chargé de recherche à l’Inserm et rejoint l’Institut Gustave Roussy, l’un des plus grands centres européens dédiés au cancer, ainsi que l’Université Paris-Saclay. Il y poursuit ses recherches sur l’interaction entre cellules immunitaires et tumeurs, avec un accent sur leur réponse aux immunothérapies anticancéreuses. « Je participe à la création d’un atlas universel des cellules immunitaires, fondé sur une analyse transcriptomique approfondie. Celle-ci consiste à examiner l’expression des gènes dans chaque cellule afin de comprendre leur rôle et leur activité. Ce travail repose également sur une cartographie des tissus tumoraux grâce à la biologie spatiale, une technologie qui localise ces cellules directement dans leur environnement et met en évidence leurs interactions ainsi que leur organisation au sein des tumeurs. » Cette ressource, issue d’échantillons de patientes et patients atteints de divers cancers (poumon, sein, rein, pancréas, etc.), ambitionne de devenir une référence mondiale pour mieux comprendre l’évolution tumorale et affiner les stratégies thérapeutiques.
Vers de nouvelles stratégies thérapeutiques
Depuis 2022, Charles-Antoine Dutertre est habilité à diriger des recherches et figure parmi les Highly Cited Researchers dans la catégorie Cross-field pour 2023 et 2024. Aujourd’hui, il collabore étroitement avec la plateforme de Pathologie expérimentale et translationnelle (PETRA) intégrée à l’unité Analyse moléculaire, modélisation et imagerie de la maladie cancéreuse (AMMICA), spécialisée dans l’imagerie et l’analyse spatiale des tissus tumoraux. Cette technologie de pointe permet de visualiser l’organisation cellulaire et moléculaire des tissus cancéreux avec une grande précision. « L’enjeu est de mieux comprendre comment ces cellules influencent la croissance cancéreuse, puis d’envisager des solutions thérapeutiques ciblées. »
À plus long terme, Charles-Antoine Dutertre envisage de fonder une start-up en biotechnologie afin de traduire ses découvertes en innovations concrètes pour la médecine. « Ce qui me motive au quotidien, c’est de voir comment nos découvertes peuvent transformer la prise en charge des patientes et patients. Mieux cerner l’immunité, c’est se donner les moyens de diagnostiquer les tumeurs précocement, de concevoir des traitements plus efficaces et de limiter les effets secondaires. »