Céline Bellard : comprendre les invasions biologiques au cœur de la crise de la biodiversité
Céline Bellard, chargée de recherche CNRS au laboratoire Écologie, société et évolution (ESE – Univ. Paris-Saclay/AgroParisTech/CNRS), se consacre à l’étude des invasions biologiques afin de mieux saisir les mécanismes de la crise de la biodiversité et d’analyser leur évolution dans un contexte de changement climatique.
Originaire du département du Nord de la France, Céline Bellard effectue l’ensemble de ses études supérieures à l’Université de Lille. Elle suit une licence en biologie des organismes et des populations entre 2005 et 2008, puis un master consacré aux écosystèmes terrestres de 2008 à 2010. C’est à travers ses stages de master qu’elle découvre l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Univ. Paris-Saclay) et le laboratoire Écologie, société et évolution (ESE - Univ. Paris-Saclay/AgroParisTech/CNRS), son futur lieu d’ancrage scientifique.
Un doctorat centré sur les effets du changement climatique
En 2010, Céline Bellard y entame un doctorat, consacré à l’impact du changement climatique sur la biodiversité et les réponses des espèces et qu’elle soutient en 2013. Face au changement climatique, les espèces réagissent de trois manières : soit par l’adaptation locale, soit par des modifications de phénologie (le calendrier des événements saisonniers), ou soit par la redistribution spatiale. Céline Bellard choisit de se concentrer sur ce dernier mécanisme, en particulier chez les espèces envahissantes. « Sur une centaine d’espèces, le changement climatique favorise l’expansion des insectes, souvent vers le nord de l’Europe ou en altitude, tandis que de nombreux mammifères voient leur aire se contracter. »
Post-doctorats et ouverture internationale
Entre 2014 et 2016, Céline Bellard se rend à l’University College London pour effectuer un post-doctorat grâce à l’obtention d’une bourse AXA. Elle y étudie les facteurs écologiques qui favorisent ou freinent les invasions biologiques, avec une attention particulière aux espèces animales insulaires (oiseaux, mammifères, reptiles, amphibiens, fourmis, etc.) : « 80 % des extinctions recensées depuis l’année 1500 sont dues aux espèces exotiques envahissantes. » Elle s’intéresse aussi à la résilience des communautés écologiques, plus fortes lorsqu’elles sont riches en biodiversité.
Entre 2016 et 2017, la chercheuse effectue un séjour à l'Université de Rome La Sapienza avant de rejoindre le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, pour un nouveau post-doctorat. En 2018, elle intègre le CNRS comme chargée de recherche et retrouve l’ESE.
Décrypter les mécanismes des invasions biologiques
Céline Bellard y poursuit ses travaux sur les espèces invasives et s’intéresse aux caractéristiques des espèces introduites par l’être humain, souvent pour un usage particulier comme la chasse, et à celles qui deviennent vulnérables à ces introductions. « Ce n’est pas du hasard, les espèces envahissantes ciblent souvent des proies aux capacités de défense réduites, par exemple de petits oiseaux qui n’avaient jamais eu de prédateurs. » La chercheuse développe une approche fonctionnelle et phylogénétique (qui retrace l’histoire évolutive des espèces et leurs liens de parenté), pour d’une part, identifier quelles fonctions des écosystèmes sont menacées (pollinisation, biomasse, régulation des populations), et d’autre part, comprendre si les espèces touchées appartiennent à des lignées évolutives anciennes ou récentes.
Les îles, laboratoires de la vulnérabilité
Une large part de ses recherches concerne les écosystèmes insulaires, particulièrement exposés aux menaces combinées du changement climatique, des invasions biologiques et de l’artificialisation des sols. « Nous avons évalué la vulnérabilité de la biodiversité insulaire sur plus de 17 000 îles, en croisant l’exposition aux menaces, la sensibilité des espèces présentes et leurs capacités d’adaptation. » Ces travaux évaluent l’efficacité des réseaux d’aires protégées - taille, localisation, connectivité -, pour comprendre si les dispositifs actuels suffisent à protéger la biodiversité face aux changements globaux.
Céline Bellard soutient son Habilitation à diriger des recherches (HDR) en 2022, ce qui la mène à encadrer trois doctorantes. « C’est une expérience très stimulante, je les accompagne sur les enjeux de la crise de biodiversité et en retour, elles nourrissent ma réflexion par leurs propres idées et leur regard neuf. »
Des travaux connectés aux politiques publiques
La chercheuse contribue régulièrement à l’expertise internationale. En 2014, elle participe au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et au Global Biodiversity Outlook, un rapport des Nations unies, puis à la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) en 2023. Elle est auditionnée, en 2022, par un député de l’Assemblée nationale sur les espèces exotiques envahissantes et intervient dans le débat public à l’occasion de la planification écologique ou de la définition des objectifs de protection en France.
En parallèle, Céline Bellard travaille avec le MNHN et le centre d’expertise et de données sur le patrimoine naturel PatriNat, pour concevoir des indicateurs de suivi des espèces invasives, destinés à guider les décisions publiques en matière de biodiversité. « La France est tenue par la législation européenne de disposer d’indicateurs de suivi. Or, jusqu’à aujourd’hui, nous n’en avions pas pour les invasions biologiques. »
Reconnaissance et responsabilités croissantes
L’excellence de son parcours est saluée, en 2022, par le prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie Engagement pour la recherche en biodiversité, qui met en avant le rôle des femmes scientifiques. Et en 2024, elle reçoit la médaille de bronze du CNRS, qui récompense les premiers travaux d’une chercheuse jugée particulièrement prometteuse.
De nouveaux projets tournés vers l’action
Promue directrice de recherche en 2025, Céline Bellard co-dirige aujourd’hui un programme soutenu par le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur les solutions fondées sur la nature, avec l’Université de Montpellier. Ce programme vise à évaluer l’efficacité des aires protégées françaises pour répondre aux défis du changement climatique.
Un autre axe de ses travaux concerne le développement d’indicateurs de priorisation des espèces pour identifier celles qui cumulent un risque d’extinction élevé et un rôle fonctionnel clé, ou celles dont l’état des populations reste mal connu malgré leur importance écologique. « Ces listes rendent possible de cibler les efforts de conservation, en particulier dans les parcs nationaux et les réserves naturelles. »
Biodiversité et enjeux globaux
Pour Céline Bellard, la recherche en écologie n’est pas déconnectée des grands enjeux sociétaux, surtout en France, le sixième pays au monde qui héberge le plus d’espèces, notamment grâce à ses territoires ultramarins. La sixième crise de la biodiversité, dans laquelle les espèces envahissantes jouent un rôle central et qui est en cours, appelle une mobilisation scientifique et politique. « Sans biodiversité, nous n’avons plus de nourriture ni de médicaments. Par exemple, plus de la moitié des molécules utilisées en santé proviennent de ressources naturelles. Préserver la biodiversité, c’est aussi se donner une chance de trouver demain de nouveaux traitements contre des maladies graves », conclut Céline Bellard.