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Blazars extrêmes : quand l’accélération des particules atteint des sommets

Recherche Article publié le 06 février 2020 , mis à jour le 11 février 2020

Sources intenses de rayonnement visible depuis la Terre à l’aide de puissants télescopes, les blazars sont des objets situés à des distances cosmologiques qui pour l’heure gardent encore une part de mystère. Jonathan Biteau, chercheur au Laboratoire de physique des deux infinis Irène Joliot-Curie (IJC Lab – Université Paris-Saclay, CNRS), et d’autres astrophysiciens européens ont récemment procédé au premier recensement des plus énergétiques d’entre eux : les blazars extrêmes. Pour une meilleure compréhension de ces prodigieux accélérateurs de particules.

Sonder toujours plus avant la structure de l’Univers, parfaire les lois de la physique fondamentale ou de la physique des plasmas… autant d’objectifs ambitieux que visent sans relâche les astrophysiciens par leurs travaux et leurs observations. Et dans la jungle des objets extragalactiques auxquels ils s’intéressent, les blazars apparaissent comme des sujets d’étude fascinants. Localisés à quelques milliards d’années-lumière de la Terre, ces objets lointains appartiennent à la grande famille des galaxies à noyau actif. En leur centre, un trou noir supermassif – de plusieurs milliards de fois la masse du Soleil - engloutit une partie de la matière concentrée dans le disque d’accrétion qui l’entoure, tandis qu’une autre partie s’en échappe sous la forme d’un jet de particules extrêmement brillant.

« Le plasma qui jaillit du noyau actif rayonne des photons à toutes les longueurs d’onde, des ondes radio au rayonnement gamma, signale Jonathan Biteau, astrophysicien au Laboratoire de physique des deux infinis Irène Joliot-Curie (IJC Lab – Université Paris-Saclay, CNRS). On y trouve aussi des électrons et probablement leurs antiparticules, les positrons. » D’autres particules plus lourdes, telles que des protons ou des noyaux, seraient-elles également présentes ? C’est ce que recherchent activement les spécialistes de ces sources. « Étudier les blazars permet de répondre à plusieurs questions : comment se comportent les différents noyaux actifs de galaxies ? En quoi diffèrent leurs propriétés observationnelles ? Comment émettent-ils leur jet lumineux ? Quel est le lien entre le jet et le trou noir, et entre le trou noir et le disque d’accrétion ? Comment les particules sont-elles accélérées au sein du jet et comment rayonnent-elles ? », confie Jonathan Biteau. Les questionnements sont éminemment variés, mais les chercheurs n’avancent pas dans le noir.

Déjà dans les années 50, le physicien Enrico Fermi proposait plusieurs mécanismes d’accélération des particules au sein des sources, mettant en jeu des champs magnétiques sur lesquels rebondissent les particules. Au gré des rebonds, ces particules acquièrent toujours plus d’énergie et rayonnent davantage. « Aujourd’hui, on connaît un certain nombre de mécanismes physiques qui se produisent dans des sources de très haute énergie et qui respectent ces conditions, tels que l’accélération par ondes de choc ou par cisaillement, la turbulence et la reconnexion magnétique », explique Jonathan Biteau.

Lever le voile sur l’accélération extrême des particules

Le chercheur s’intéresse particulièrement à une toute petite fraction des blazars (≤1%) : les blazars extrêmes. « Ce sont ceux dont l’émission est particulièrement intense aux hautes énergies, en particulier au-delà du tera-électron-volt (TeV, soit 1012 eV). » Ces objets, qui émettent dans la bande gamma - le rayonnement électromagnétique le plus énergétique –, sont actuellement une petite vingtaine (24) à avoir été observés. « Depuis le début des années 2000 et les grandes expériences Cherenkov de recherche d’émission gamma à très haute énergie – à savoir H.E.S.S., MAGIC et VERITAS -, la question est de savoir si ces blazars extrêmes représentent ou non le sommet de l’iceberg, s’ils ont le même mode de fonctionnement que les autres blazars ou en diffèrent réellement », commente Jonathan Biteau.

En collaboration avec d’autres collègues européens (français, allemands et italiens), il a récemment procédé au recensement des 24 blazars extrêmes observés, le premier sur ce type de source. Les chercheurs ont analysé leurs propriétés observationnelles, les ont comparées à celles attendues, et en ont déduit un tableau assez complexe. Alors que certains objets semblent appartenir au modèle dominant, d’autres, ceux de plus haute énergie, s’en éloignent. « Depuis quelques années, on constate que les propriétés des blazars extrêmes sont plus difficiles à expliquer. Pour les blazars classiques, l’émission de photons jusqu’aux énergies des rayons X s’explique par le rayonnement synchrotron des électrons et des positrons : leur mouvement dans le champ magnétique leur fait émettre de la lumière. Ces électrons et positrons viennent percuter par effet Compton les photons synchrotron émis et on obtient un spectre à double bosse. Mais pour les blazars extrêmes, ce modèle simpliste commence à montrer ses limites. Il peine particulièrement à expliquer pourquoi on observe un pic au-delà du TeV et pourquoi l’émission évolue de façon aussi drastique en fonction de l’énergie », constate Jonathan Biteau. Plusieurs scénarios alternatifs tentent d’apporter des explications, « mais comme pour l’heure seuls 24 objets de ce type ont été identifiés, il est difficile de s’accorder sur l’un d’entre eux », continue le chercheur.

De nouvelles installations pour densifier les observations

Avec l’avènement dans les prochaines années de nouvelles générations de télescopes, les scientifiques espèrent bien multiplier les observations de ces blazars. « On est aujourd’hui face à une limite de sensibilité des instruments : on ne voit que les blazars extrêmes les plus brillants. Pour réussir à en voir davantage, il nous faut gagner en sensibilité pour descendre à des intensités plus faibles, et disposer d’une vraie population de blazars extrêmes », reconnaît Jonathan Biteau. Actuellement, l’énergie maximale mesurée à l’aide de photons gamma en provenance d’un blazar extrême s’élève à 20 TeV. « Mais on ne sait pas si tous les blazars extrêmes sont capables d’atteindre de telles énergies, ou même d’aller au-delà, jusqu’à 100 TeV qui sait ! » C’est notamment ce à quoi va s’attacher de répondre le futur observatoire CTA (Cherenkov Telescope Array), actuellement en construction à La Palma (Îles Canaries) et à Paranal au Chili, et dont les premières observations sont attendues pour 2022.

« Grâce à nos récents travaux, on dispose désormais d’une vue cohérente et unifiée de l’ensemble des blazars extrêmes qui ont déjà été observés. Une classification spécifique s’inscrit dans le marbre pour ces sources. Cela donne une très bonne base pour poursuivre les recherches sur ce type d’objets », conclut Jonathan Biteau.

J Biteau, J., Prandini, E., Costamante, L. et al. Progress in unveiling extreme particle acceleration in persistent astrophysical jets. Nature Astronomy (2020). https://doi.org/10.1038/s41550-019-0988-4.

Illustration d'un blazar extrême - Credits E. Ampezzi, B. Del Piccolo, C. Schiavo (Liceo Artistico Modigliani, Padova) and E. Prandini (University of Padova)

Crédits de l'illustration : E. Ampezzi, B. Del Piccolo, C. Schiavo (Liceo Artistico Modigliani, Padova) and E. Prandini (University of Padova).