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APIMONA : le complément alimentaire à destination des abeilles

Innovation Article publié le 09 mars 2023 , mis à jour le 14 décembre 2023

Le projet APIMONA, issu de l’Institut Lavoisier de Versailles (ILV – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, CNRS), consiste au développement d’un complément alimentaire à base de molybdène pour les abeilles, sujettes à de multiples carences et attaques. Après des premières études en Moldavie et des tests concluants, une start-up sera bientôt créée.

Le molybdène est un oligoélément essentiel, aux propriétés fascinantes et à l’importance souvent méconnue. Il est nécessaire à l’activité de nombreuses enzymes et ce chez une grande majorité des êtres vivants. Les enzymes à molybdène, comme la sulfite et la xanthine oxydase, la nitrate réductase, catalysent de multiples réactions, dans un grand nombre de voies métaboliques. Également présent dans les sols, le molybdène participe à leur fertilité. « Un sol privé de molybdène est un sol stérile. Sans cet élément, les plantes n’assimilent pas l’azote », résume Sébastien Floquet, chercheur à l’ILV et porteur du projet APIMONA. Chimiste de formation et membre du groupe Molécules, interactions, matériaux (MIM) à l’ILV, le chercheur est un spécialiste du molybdène. Jusqu’au lancement du projet APIMONA, ses travaux portaient sur une série de composés à base de molybdène pour la production d’hydrogène et sur la recherche de nouvelles applications pour ces composés.

Le hasard des rencontres

Ce sont des biologistes moldaves qui orientent Sébastien Floquet et ses complexes molybdénés vers les abeilles. « À la suite d’échanges restés en suspens, je reprends contact avec Aurelian Guela et Ion Toderas, membres de l’Académie des sciences moldave, un peu avant 2015. Ils étaient à la recherche de nouvelles molécules à tester et j’avais des molécules à base de molybdène, explique le chercheur. Il se trouve qu’en Moldavie, le système de tests consiste en un screening systématique : toutes les molécules sont testées pour un large panel de propriétés biologiques, sans à priori. » Au terme de ces tests, une application pour les molécules de molybdène de Sébastien Floquet se démarque : l’apiculture.

En 2015, une première molécule est testée dans un sirop distribué au sein de ruches test moldaves : c’est le lancement du projet APIMONA. « Les premières observations ont démontré une hausse de la production d’œufs de la reine de 10 % et une augmentation de la production de miel de 20 % », rapporte le chercheur. Des résultats encourageants, mais insuffisants au vu du lourd protocole à mettre en place. En effet, la molécule doit être ajoutée aux ruches par petite dose tous les deux jours durant les deux premières semaines du printemps. Or, en France, les apiculteurs et apicultrices professionnels gèrent en moyenne un élevage de plusieurs centaines de ruches. Un tel protocole s’avère donc incompatible. Suite à ces premiers travaux, une thèse débute en 2016 à l’ILV, sous la cotutelle de l’UVSQ et de l’université d’état de Moldavie. Son but : trouver une molécule à base de molybdène présentant de meilleurs résultats tout en réduisant les contraintes d’utilisation.

Courant 2017, Sébastien Floquet découvre le monde de l’apiculture. « En 2018, grâce au programme Lab2Biz de l’Université Paris-Saclay et de HEC Paris, nous avons rencontré des apiculteurs et apicultrices français. Au-delà de donner accès aux acteurs et actrices du marché, ces rencontres ont été essentielles pour comprendre les métiers de l’apiculture et leurs contraintes. D’un premier protocole élaboré en Moldavie en 2015, on a débouché en 2018 sur un protocole par application unique dans les ruches, présentant les mêmes effets. » Deux nouveaux financements apportent alors un nouvel essor au projet : le Labex Charmmmat et 2017, et en 2018 l’appel à projets prématuration Poc in Labs mis en œuvre par l'Université Paris-Saclay et financé sur fonds IDEX, puis soutenu en prématuration puis maturation par la SATT Paris-Saclay depuis 2019. 

Un complément alimentaire sur la voie de la commercialisation

Administré sous la forme d’un complément alimentaire, le produit développé par Sébastien Floquet et son équipe présente de nouveaux résultats très intéressants : « on observe un effet accru du produit lorsque les ruches sont en mauvais état : il y a un accroissement de la ponte de la reine d’environ 15 %, ce qui représente 300 abeilles pondues en plus par jour, et une plus grande résistance face aux virus et au varroa destructor, ce parasite dangereux pour l’abeille adulte ». Or des abeilles plus nombreuses et en meilleure santé produisent plus de miel. Des hausses de production de 60 % ont ainsi été observées dans certains cas. Le produit a également été testé en Californie, où la mortalité des populations d’abeilles en hiver atteint jusqu’à 80 %. Grâce au complément alimentaire à base de molybdène, cette mortalité chute de moitié environ.

Afin de poursuivre le développement du projet APIMONA, des étapes d’homologation du complément alimentaire sont désormais nécessaires. « Aujourd’hui, le produit est testé au sein de quatre ruchers soumis à des conditions spécifiques validées par les autorités sanitaires européennes :  trois en France et un en Grèce. Le même travail est effectué aux États-Unis, détaille Sébastien Floquet. À travers ces tests d’homologation, notre objectif est de prouver la non-toxicité de notre molécule pour le consommateur et l’environnement, même lorsqu’elle est utilisée dans des quantités supérieures à nos recommandations. » La création de la start-up Oligofeed, qui débouchera sur la commercialisation du produit, aura lieu en 2023. Aneta Ozieranska, ingénieure passée par CentraleSupélec, a rejoint Sébastien Floquet et des investisseurs sont actuellement recherchés.

Des études à l’amplitude sans précédent

Substituts de pollens, huiles essentielles, protéines... Une multitude de compléments alimentaires est déjà disponible sur le marché pour les apiculteurs et apicultrices. Mais aucun n’a été aussi rigoureusement étudié que celui du projet APIMONA. « Il n’existe aucune preuve de l’efficacité des produits déjà existants pour les abeilles, exception faite d’une étude sur vingt ruches. Entre les premiers ruchers en Moldavie, puis ceux en France, en Grèce et aux États-Unis, notre produit a été testé sur près de 1 000 ruches depuis 2015. Le panel de tests effectué est sans précédent », détaille le chercheur.

Les nombreuses études menées par Sébastien Floquet et son équipe démontrent que le complément alimentaire à base de molybdène a un effet positif sur les abeilles, leur santé et leur production de miel. Pour l’expliquer, l’équipe entreprend une collaboration avec Jean-Christophe Sandoz, spécialiste de l’évolution et de la plasticité nerveuse chez les abeilles et membre de la direction du laboratoire Évolution, génomes, comportement et écologie (EGCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, IRD). Ensemble, grâce aux soutiens de la Fondation Lune de miel en 2019 et de la mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS en 2021 et 2022, ils mènent des observations sur l’assimilation du produit par les abeilles. « Nous avons prouvé sans ambiguïté que le produit était assimilé par les abeilles et qu’il allait particulièrement dans la tête », développe Sébastien Floquet. D’autres études plus poussées suivent au synchrotron SOLEIL. « Notre but a été de localiser les zones clés dans la tête de l’abeille. Nous avons démontré que la molécule entre en interaction avec les glandes hypopharyngiennes, impliquées dans la longévité de l’abeille et la production de vitamines. Notre molécule est aussi assimilée par la membrane qui protège le cerveau des abeilles. » Ces travaux mettent également en évidence la présence initiale de molybdène dans les glandes hypopharyngiennes des abeilles, à des taux très faibles. Cette partie fondamentale du projet est soutenue par la fondation UVSQ.

Ce lien étroit entre le molybdène et les abeilles

Aujourd’hui, outre le développement d’un complément alimentaire, Sébastien Floquet voit plus loin. « J’ai découvert un monde passionnant aux côtés des apiculteurs et des apicultrices. APIMONA en est le premier aboutissement. J’ai plein d’autres idées concernant les abeilles », développe l’intéressé. Le chimiste a notamment démarré de nouvelles études concernant les carences environnementales auxquelles les abeilles font face. « Les abeilles peinent à trouver du molybdène dans les pollens, du fait de l’appauvrissement des sols : les pollens produits par les plantes sont de moins en moins riches en cet oligoélément. Finalement, j’essaie de prouver que la molécule du projet APIMONA vient répondre à une carence en molybdène chez les abeilles », conclut le chercheur. 

Publication : 
https://data.inpi.fr/brevets/FR3112667?lng=fr 

Découvrez la vidéo sur la start-up Oligofeed créée en 2023