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André Torre : entre proximité et conflits

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 17 avril 2019 , mis à jour le 07 mai 2021

Directeur de recherche à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), rattaché à AgroParisTech, André Torre est actuellement directeur de la maison des sciences de l’Homme de Paris-Saclay (MSH Paris-Saclay). Spécialiste en sciences sociales, son parcours, à la frontière de l’économie industrielle et de l’économie spatiale, l’amène aujourd’hui au développement territorial, sous le prisme de la proximité. Une proximité qui fait le lien avec les conflits territoriaux, dont il est un des spécialistes.

Rien ne prédestinait André Torre à devenir chercheur. Son bac littéraire en poche, il part de Corse pour étudier l’économie à Nice. Les notions de capital et de croissance abordées en cours d’économie agissent comme un déclic. Après un virage vers l’économie mathématique en thèse, il devient chercheur CNRS à Sophia Antipolis.

Naissance du groupe « Proximité »

« L’économie locale et territoriale est l’affaire de ma vie », déclare André Torre, qui s’intéresse très tôt à l’innovation en région, qu’on appelait avant 1986 « le progrès technique ». « Les économistes industriels commençaient à s’intéresser à l’espace et, dans le même temps, les économistes régionaux et spatiaux sortaient du champ du territoire et s’interrogeaient sur la localisation des industries », se souvient le chercheur. En bon modélisateur, André Torre manque de données pour ses recherches entre développement territorial et innovation. Il décide de créer en 1991 le groupe « Dynamiques de proximité » avec six de ses collègues économistes. Il publie quatre ans plus tard avec Alain Rallet, professeur émérite à l’Université Paris-Sud, son ouvrage fondateur Économie industrielle et économie spatiale.

Vers la socio-économie

De retour en Corse, le jeune chercheur de 36 ans accède à un poste de directeur de recherche en économie du développement à l’INRA, au sein d’un laboratoire de recherche pluridisciplinaire qui ne comprend que deux économistes. Il y restera quatre ans. Il profite de sa charge d’enseignement en économie à l’université de Corte pour en réviser les fondamentaux : « on apprend quand on enseigne ». Il comprend, en fréquentant ses collègues de l’INRA, « ce qu’est la pluridisciplinarité » et abandonne la panoplie de l’économie standard pour glisser vers « une socio-économie discursive ».

Naissance d’un réseau « Conflits »

En 1997, André Torre arrive au cœur du 5e arrondissement de Paris à AgroParisTech, dans le cadre de la refonte d’une unité mixte de recherche. Il devient également professeur associé à la faculté de Sceaux (Université Paris-Sud). Un an plus tard, il choisit un sujet de recherche en économie, vierge de toutes données : les conflits, qui naissent au cœur des territoires ruraux en France métropolitaine et en outre-mer. Il met au point une méthode de description et d’analyse, qui fait encore référence aujourd’hui, et constitue sa base de données à partir de trois sources différentes : des interviews d’experts, des articles de la presse quotidienne régionale et ceux de la jurisprudence. « Je me suis peu à peu solidarisé avec des chercheurs de différentes disciplines, très intéressés par le sujet », commente André Torre. Il décide de les fédérer au sein d’un réseau dédié qui acquiert sa légitimité.

Quand le conflit génère l’innovation

Dans les années 2000, les deux sujets de prédilection du chercheur montent parallèlement en puissance pour mieux se rejoindre : celui du Conflit, dans le cadre de ses recherches à l’INRA au niveau national, et celui de la Proximité, « un des plus traités en sciences sociales aujourd’hui ». André Torre devient l’un des deux théoriciens mondiaux et le « monsieur Proximité français », avec plus de 100 articles et 10 ouvrages publiés sur le sujet depuis 1993, dont le plus cité est « Proximity and Localisation », co-écrit avec Alain Rallet. L’équipe de recherche de l’INRA prend le nom de Proximité, et le séminaire Conflits et Territoires voit le jour et se répète mensuellement depuis maintenant 14 ans.

L’innovation territoriale est au cœur des recherches d’André Torre depuis une dizaine d’années. « Mon travail analytique sur toutes les innovations (sociales, organisationnelles, institutionnelles, etc.) a fait poindre le fait qu’elles ne se bâtissent pas seulement sur la coopération mais naissent aussi des conflits, qui en sont les fondateurs. » Un constat qui fait penser à la crise des Gilets jaunes, qui n’étonne guère le chercheur : « elle révèle combien le bien-être des gens est atteint au quotidien, à la limite de la souffrance mentale, ce qui est le résultat de l’abandon des territoires depuis 50 ans et du centralisme qui tue. »

Investir le champ institutionnel

Devenu directeur des programmes PSDR (Pour et sur le développement régional), André Torre coordonne 450 chercheurs dans 33 projets pluridisciplinaires avec 10 conseils régionaux, et met en place des appels à projets, « son principal job à l’INRA », dit-il. Son autre « job » se trouve sur le plateau de Saclay, où il a pris la direction de la MSH Paris-Saclay en 2018. « Celle-ci est née de la volonté de quelques chercheurs de structurer les sciences sociales. Nous incitons les personnes de disciplines différentes à collaborer. En 2018, nous avons financé et contribué à l’organisation de 92 évènements (colloques, séminaires, workshops) et nous finançons des projets de recherche dans le cadre de différents programmes. » La MSH Paris-Saclay édite également deux revues, des ouvrages, et a tout récemment publié le premier annuaire des chercheurs en SHS de l’Université Paris-Saclay. Un outil ô combien précieux et qui a le mérite de mettre en lumière tout un pan foisonnant de la recherche réalisée à l’Université.