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Comment les facteurs socio-démographiques influencent-ils la pollution plastique ?

Des scientifiques du laboratoire Cultures, environnements, Arctique, représentations, climats (CEARC – Univ. Paris-Saclay/UVSQ) et du College of Policy Science de l’Université Ritsumeikan (Japon) proposent un modèle statistique capable de prévoir, à l’échelle mondiale, l’évolution de la pollution plastique en fonction de facteurs socio-démographiques tels que l’urbanisation, la population ou le produit intérieur brut (PIB). Bien que leur modèle valide l’application de la courbe environnementale de Kuznets à la pollution plastique – graphique reliant le niveau de richesse d’un pays et son niveau de dégradation de l’environnement -, leur étude n’est pas exempte de biais liés aux jeux de données mis à leur disposition.

La pollution plastique dans l’environnement, quasiment nulle en 1950, atteint aujourd’hui entre 36 à 115 millions de tonnes en fonction des estimations, et on prévoit que cette pollution continuera encore à augmenter drastiquement durant les prochaines décennies. Quelle influence des facteurs socio-démographiques, comme le produit intérieur brut (PIB), l’effectif de la population ou encore le taux d’urbanisation, ont-ils eu – et vont-ils avoir – sur l’évolution de ce phénomène à l’échelle mondiale ? Répondre à cette question s’avère déterminant, car susceptible d’orienter les politiques publiques actuelles et futures en matière de lutte contre la pollution plastique et de sa limitation.

La courbe environnementale de Kuznets : un modèle graphique encore controversé

Sur le modèle de la courbe de Kuznets, imaginée en 1955 par l’économiste Simon Kuznets et mettant en relation le niveau de développement économique d’un pays et son niveau d’inégalité, des scientifiques ont proposé une courbe environnementale de Kuznets (Environmental Kuznets Curve ou EKC) liant le niveau de pollution et le PIB d’un pays. Apparue en 1994, l’EKC montre une évolution en cloche. D’après elle, les pays les plus pauvres, qui ne possèdent que peu d’activités industrielles, sont les moins pollueurs. À l’opposé, les pays en développement, à l’industrie très active mais aux moyens d’en maitriser la pollution très limités, sont les plus pollueurs. Enfin, pour les pays riches, parvenus à un stade pour lequel les besoins primaires des habitants sont pourvus, la courbe s’inverse : chez eux, la question environnementale s’installe et prend de l’importance et les pays disposent de suffisamment de moyens pour y répondre.

Appliquée à différents facteurs environnementaux, comme les émissions de CO2 ou la consommation d’énergie, l’EKC n’a, jusqu’à présent, pas fait l’objet d’une validation de son application à la pollution plastique. Mateo Cordier et Huijie Yan, du laboratoire Cultures, environnements, Arctique, représentations, climats (CEARC – Univ. Paris-Saclay/UVSQ), et Takuro Uehara, du College of Policy Science (Ritsumeikan University, Japon), ont cherché à pallier ce défaut et engagé des travaux dans ce sens.

Un modèle statistique pour étudier l’évolution de la pollution plastique

Pour cela, les trois chercheurs ont utilisé le modèle statistique STIRPAT qui estime la pression environnementale liée à la pollution plastique grâce à des données de population (âge, nombre d’habitants, densité, taille des villes), de croissance économique (PIB), de progrès technologique (proportion du service et de l’industrie dans l’économie) et de gouvernance (politiques de lutte contre la corruption et de contrôle du lobbying industriel). Ce modèle empirique permet de tester la contribution de chacun des facteurs au phénomène global en se basant sur des données réelles.

Les données de la Banque mondiale valident la courbe environnementale de Kuznets

L’équipe a appliqué son modèle STIRPAT à une base de données provenant de la Banque mondiale, qui dresse l’inventaire de tous les plastiques produits par 217 pays et territoires et scrute leur gestion des déchets plastiques générés. Dans leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur les déchets mal gérés. Pour Mateo Cordier, « c’est là qu’entre en jeu la subjectivité du chercheur. Comme nous avions mis le focus sur les océans, les plastiques mal gérés sont pour nous ceux susceptibles d’y arriver. » Ils se sont ainsi intéressés aux décharges à ciel ouvert et celles non contrôlées, et à tous les déchets directement déversés dans la nature.

En se basant sur ces données, les chercheurs ont montré que le modèle statistique élaboré valide l’hypothèse de l’EKC, c’est-à-dire le lien entre le niveau de pollution et le niveau de développement économique d’un pays. Étant financièrement et culturellement capables de prendre en charge leurs déchets plastiques, les pays riches produisent peu de plastiques mal gérés. Il en va de même pour les pays pauvres, qui sont peu consommateurs et producteurs de plastiques. Mais, comme le souligne Mateo Cordier : « les pays émergents produisent beaucoup de plastiques mal gérés parce que leurs classes moyennes consomment beaucoup de plastiques et que ces pays ne possèdent pas encore les ressources financières ou une volonté politique ou citoyenne de bien gérer les déchets. »

Un jeu de données aux biais à considérer

Ce résultat n’est pas exempt de biais, du fait des données sur lesquelles l’étude s’est basée. En premier lieu, l’impact environnemental des déchets considérés comme bien gérés n’est pas neutre : par exemple, l’incinération des déchets génère du CO2 et des particules toxiques pour la santé humaine. Quant au recyclage, il n’est pas infini. En outre, certaines voies de recyclage conduisent à émettre des microplastiques dans la nature (ex. : recyclage des déchets plastiques dans les vêtements, les revêtements routiers, etc.). Ne sont également comptabilisés dans cette étude que les macroplastiques provenant des déchets collectés dans la rue, c’est-à-dire des ménages ou des commerces. En sont absents les déchets industriels, agricoles, de l’industrie de la pêche, etc., faute d’informations existantes. « Ça veut dire qu’on a sûrement négligé la moitié du problème parce que la quantité de déchets produits par les secteurs économiques est gigantesque », commente Mateo Cordier. Enfin, la Banque mondiale ne fournit pas les données liées à la délocalisation des déchets plastiques des pays riches vers les pays pauvres.

Une prise en compte globale des flux de plastique et des déchets issus des secteurs économiques donnerait peut-être un graphique qui ne suit pas la courbe environnementale de Kuznets. Pour Mateo Cordier : « il serait intéressant de reproduire ces courbes en prenant en compte les déchets plastiques totaux. On verrait alors que dans les pays riches, c’est une catastrophe. On sait que l’incinération et le recyclage sont de très mauvaises solutions, ce que ne dit pas notre étude. »

Pas de diminution de la pollution plastique d’ici 2050

À partir de son modèle statistique, l’équipe a cherché à prédire l’évolution de la pollution plastique entre 2023 à 2050. Elle a élaboré une série de scénarios impliquant différents facteurs (la croissance, la population ou l’urbanisation). Il en ressort que quel que soit le scénario envisagé, la pollution plastique ne diminue pas à l’échelle mondiale. Outre le PIB, la corruption, les lobbies commerciaux et industriels, la taille de la population, son âge ou l’urbanisation influencent également et de façon importante la pollution plastique. Par exemple, dans un scénario où l’urbanisation est très rapide, la pollution plastique augmente de façon très importante.

Un scénario dans lequel la croissance économique diminue de moitié révèle par ailleurs une évolution surprenante. « Nous pensions montrer que ralentir la croissance améliorerait les choses mais à l’échelle mondiale, ce n’est pas ce qu’on voit », regrette Mateo Cordier. Ce résultat s’explique probablement par l’influence des pays aux revenus moyens bas dans l’évolution globale de la pollution plastique. « Ces pays ont besoin de revenus pour générer des taxes qui permettent de financer les services publics et de collecter et traiter les déchets. Sortir du paradigme de la croissance, c’est bien pour les pays riches, mais pas pour les pays pauvres ou à revenus moyens », relativise le chercheur du CEARC. Il continue : « Par contre, si au lieu de travailler sur les déchets dits « bien gérés » et « mal gérés », nous avions travaillé sur la totalité des déchets plastiques, nous aurions pu montrer que ralentir la croissance économique permet de réduire la production annuelle de déchets plastiques totaux. » En effet, Mateo Cordier et ses collègues ont montré en 2020 qu’une croissance du PIB par habitant de 1 % conduit à augmenter la production de déchets plastiques totaux (bien et mal gérés) de 0.02 %.

Un modèle utile pour orienter les politiques publiques

En définitive, cette étude demeure à-même d’orienter les politiques publiques vers une meilleure intégration de la gestion des déchets plastiques dans les planifications urbaines. Ainsi, dans le cadre d’un rapport destiné au ministère de la Transition écologique, Mateo Cordier a eu l’occasion d’appliquer son modèle à la France afin d’évaluer l’effet de la corruption sur l’évolution de la pollution plastique. Les résultats obtenus sont criants : « Si la corruption et l’influence des lobbies commerciaux et industriels baisse de 25 %, on réduit la pollution plastique de façon très significative », affirme le chercheur. Disposer de chiffres clairs fournit une base de réflexion aux femmes et hommes politiques afin, de façon éclairée, d’essayer d’enrayer l’augmentation de la pollution plastique.

Références bibliographiques
Cordier M., Uehara T., Baztan J., Jorgensen B., 2020. Plastic pollution and economic growth: the influence of corruption and the lack of education. Preprint ResearchGate.

Cordier M., Uehara, T., Baztan, J., Jorgensen, B., Yan, H., 2021. Plastic pollution and economic growth: the influence of corruption and lack of education. Ecological Economics 182, 106930.

Yan, H., Cordier, M., & Uehara, T., 2024. Future projections of global plastic pollution: Scenario analyses and policy implications. Sustainability, 16(2), 643.

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