À l’occasion d’Octobre rose, le mois du dépistage du cancer du sein, Pierre Fillard, cofondateur de la start-up Therapixel et son responsable des recherches scientifiques (Chief Scientific Officer, CSO), présente cette start-up issue de travaux réalisés au centre Inria Paris-Saclay. Fondée en 2013, Therapixel est devenue l’une des start-up leaders spécialisées dans l’IA appliquée à l’imagerie médicale. Elle s’appuie sur un tout nouveau système algorithmique pour dépister les cancers du sein.
La démographie médicale en France accuse depuis quelques années un certain déclin. Les carrières médicales attirent de moins en moins de candidates et candidats, et de plus en plus de départements rencontrent une pénurie de professionnels de santé, notamment en radiologie et en imagerie médicale.
Parallèlement, la population française vieillit. Les risques de développer un cancer augmentant avec l’âge, le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale a mis en place des programmes nationaux de dépistage organisé se concentrant sur trois types de cancer - colorectal, du sein et du col de l’utérus. Entièrement pris en charge à partir d’un certain âge, ces dépistages s’appuient sur des examens d’imagerie. Mais alors que le nombre de patientes et patients éligibles aux programmes grimpe en flèche, les besoins s’accentuent encore sur un secteur médical déjà en tension.
C’est à partir de ce double constat que Pierre Fillard, ancien chercheur Inria au centre Inria de Paris-Saclay, et Olivier Clatz, ancien chercheur Inria au centre Inria de Sophia Antipolis, se sont penchés sur la recherche de solutions de dépistage du cancer, et plus particulièrement de celui du sein, basées sur l’intelligence artificielle (IA). Ils en sont arrivés à fonder Therapixel, spécialisée dans l’IA appliquée à l’imagerie médicale. L’IA offre ici une seconde lecture des images, aidant à accélérer et à sécuriser les diagnostics.
Détecter plus rapidement et plus efficacement les lésions mammaires
Aujourd’hui, Therapixel propose deux produits utilisant l’IA, en particulier le deep learning et les réseaux neurones. Cette méthode d’IA apprend à des ordinateurs à traiter les données d’une manière inspirée par le cerveau humain. Cela afin d’analyser des images médicales à haute résolution (4000×3000 pixels) et d’y détecter avec précision toutes les lésions mammaires, quelle que soit leur taille.
Parmi ces lésions, on trouve les petites masses mal définies, à côté desquelles passent souvent les spécialistes lors des mammographies, et les clusters de microcalcifications, de minuscules amas de pixels blancs, difficiles à repérer sur des images à une telle résolution. « Si on entraîne l’algorithme à trouver ces petites choses, ça permettrait peut-être de dépister plus tôt le cancer du sein de la patiente et ça changerait complètement l’approche », informe Pierre Fillard.
Un autre aspect intéressant de la technologie mise au point est sa capacité à analyser et à comparer deux images prises à des périodes différentes. « Le but étant d’identifier les changements temporels et de distinguer ce qui est stable de ce qui évolue dans le temps », annonce le cofondateur de Therapixel.
Pour en bénéficier, les radiologues accèdent aux logiciels en mode Saas, c’est-à-dire en ligne depuis un navigateur Internet. La start-up a d’ailleurs réalisé un important travail d’optimisation du service pour garantir la rapidité du processus de dépistage. Une fois réalisée, la mammographie est transmise en temps réel à l’algorithme, qui fournit, en moins de cinq minutes, le compte-rendu de l’IA au radiologue.
Un tournant décisif
Therapixel trouve ses origines dans les recherches réalisées par Pierre Fillard et son ancien collègue Olivier Clatz au centre NeuroSpin du CEA Paris-Saclay, puis à l’Inria. Curieux de découvrir comment innover dans le domaine de la radiologie et de l’imagerie, ils se lancent dans l’aventure entrepreneuriale au début des années 2010. « C’est formidable de publier des articles et de développer de nouvelles méthodes, mais nous avions du mal à voir comment cela se traduisait concrètement en services rendus », explique le CSO de Therapixel.
Au départ, l’ambition de la start-up est de redonner aux chirurgiens le contrôle des images médicales utilisées lors des interventions au bloc opératoire. Cela passe par l’emploi de caméras munies de capteurs de mouvement, capables de détecter les gestes des chirurgiens pendant l’intervention. L’objectif est de leur permettre de contrôler un écran sur lequel s’affichent toutes les images médicales (IRM, scanners etc.) du patient ou de la patiente, afin d’en consulter l’une ou l’autre en cas de doute. « Un peu comme dans le film Minority Report, de Stephen Spielberg, dans lequel Tom Cruise utilise, à un moment donné, une interface sans contact. On l’a rendue réelle », s’amuse Pierre Fillard.
En 2017, le deep learning arrive timidement sur le devant de la scène et suite à un challenge sur le dépistage du cancer du sein remporté par les deux associés, les deux chercheurs rompent totalement leur activité de contrôle d’images médicales. C’est ainsi que Therapixel devient ce qu’elle est aujourd’hui. « Actuellement, on traite à peu près un million de mammographies par an, que ce soit en France, en Europe et aux États-Unis », déclare l’entrepreneur.
Un copilote un peu particulier
Bien que parfois méfiants au départ, les radiologues se montrent ouverts et curieux face à la technologie développée par Therapixel. « À l’époque de l’émergence du deep learning, beaucoup d’annonces ont été faites, notamment par certains pionniers de l’IA, sur l’inutilité de continuer à former des radiologues et sur le fait que l’IA pourra les remplacer. C’était une profonde incompréhension du métier de radiologue et une surestimation des capacités de l’IA. Comme la radiologie reste un secteur enclin à l’innovation, les professionnels de ce secteur sont très curieux quand on vient leur proposer notre produit », explique Pierre Fillard.
En France, un nombre croissant d’entre eux, aussi bien du secteur privé que du public, choisit de s’équiper de ce type de service qui leur offre un filet de sécurité considérable via une seconde lecture. « C’est un peu comme monter dans un avion : bien sûr, le pilote est là, mais statistiquement, c’est plus sûr d’avoir en plus le copilote, c’est même indispensable. C’est la même chose en santé », indique Pierre Fillard. Grâce à la technologie développée, Therapixel détecte en moyenne 50 % des cancers un an plus tôt et est capable de réduire de 5 à 10 % les faux positifs. « Pour les patientes, ça réduit la probabilité de devoir faire un examen complémentaire et d’angoisser pendant plusieurs mois avant d’avoir le résultat », précise le CSO de la start-up.
Vers une radiologie prédictive ?
Prochainement présente au congrès de la Radiological Society of North America (RSNA) à Chicago, un des plus grands congrès internationaux de la radiologie qui se déroulera en décembre 2024, Therapixel profitera de cette occasion pour annoncer son nouveau produit : une solution plus complète pour le dépistage du cancer du sein. « Ça va largement accélérer le travail du radiologue », révèle Pierre Fillard.
Niveau R&D, les équipes de Therapixel travaillent par ailleurs sur l’analyse des séquences temporelles, autrement dit la capacité, pour la technologie, de prendre plusieurs images pour reconstruire un historique des événements et en prédire la suite. Le souhait est de tendre vers une radiologie prédictive plutôt que de réaction.