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Philippe Mendels : explorer la matière condensée

Crédits Philippe Mendels / Université Paris-Saclay

Philippe Mendels est physicien, professeur émérite à l’Université Paris-Saclay et un spécialiste de renommée mondiale des matériaux quantiques et de l’utilisation de techniques d’investigation locale – la résonance magnétique nucléaire et la résonance de spin des muons. Il a effectué toute sa carrière au Laboratoire de physique des solides (LPS – Univ. Paris-Saclay / CNRS) et a été à l’origine de découvertes majeures dans le domaine de la matière condensée.

Brillant élève en mathématiques, Philippe Mendels se passionne pour la physique une fois en classe préparatoire. Il intègre l’École normale supérieure de Saint-Cloud (devenue l’ENS Lyon), puis obtient une licence et une maîtrise de physique à l’université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay), et devient agrégé de physique. Après un stage effectué au Laboratoire de physique des solides (LPS – Univ. Paris-Saclay / CNRS) lors de son DEA (l’équivalent aujourd’hui d’un master 2), il effectue son service national en coopération en tant qu’enseignant dans un lycée au Togo. « Une très belle expérience », décrit l’intéressé. Le jeune physicien s’engage ensuite dans une thèse en 1982. C’est là que sa vocation de chercheur se révèle véritablement, vocation qu’il résume ainsi : « beaucoup de questions auxquelles on se doit de répondre avec logique et rigueur scientifique ».

En 1984, le physicien est recruté comme maître de conférences à l’université Paris-Sud, au sein de l’équipe RMN du LPS, qui devient plus tard l’équipe Spectroscopie des matériaux quantiques (SQM). Philippe Mendels y poursuit toute sa carrière, à l’exception d’une année, de 2011 à 2012, passée à l’université de Colombie-Britannique/TRIUMF, à Vancouver. Le chercheur s’y initie alors à une nouvelle technique en plein essor, la résonance de spin des muons (µSR ou muSR). Il obtient également son habilitation à diriger des recherches (HDR), consacrée en partie à étudier les verres de spin. « Ce sont de minuscules aimants qui interagissent de manière chaotique pour finir par se figer, telles des molécules dans un caoutchouc solidifié, détaille Philippe Mendels. C’est un système modèle de désordre en physique de la matière condensée. » En 1998, il est promu professeur des universités.

L’univers fascinant de la supraconductivité

Bien que la supraconductivité – un phénomène particulier qui concerne certains matériaux capables, en-dessous d’une température critique, de conduire le courant sans aucune résistance -, ait été découverte en 1912, son modèle théorique n’a été établi que dans les années 50. Il est le fruit des développements de la mécanique quantique et de la physique statistique.

En 1986, la découverte des premiers matériaux supraconducteurs à haute température critique constitue une avancée expérimentale majeure qui suscite un vif intérêt de la part des scientifiques et des industriels du monde entier, fascinés par les propriétés exotiques de ces nouveaux cuprates à base d’oxyde de cuivre. « En dopant la phase magnétique de ces matériaux comme on le ferait pour des semi-conducteurs, ils se transforment en un métal qui devient supraconducteur à basse température et sont alors capables de conduire l’électricité sans plus aucune résistance », confirme Philippe Mendels.

À l’époque, on pense que cette température ne dépassera jamais les 20 kelvins (-253 °C), nécessitant de l’hélium liquide. « En quelques mois, la température critique est passée de 40 à 90 kelvins, développe le chercheur, franchissant ainsi la barre des 77 kelvins, la température de l’azote liquide. » L’intrication entre la phase métallique et la phase magnétique du matériau soulève alors la question cruciale de l’origine de la supraconductivité, une question non tranchée encore aujourd’hui. Elle ouvre aussi une nouvelle branche d’études quantiques autour de nouveaux composés à base de cuivre.

Une première découverte : le pseudogap

En 1989, Henri Alloul, responsable de l’équipe au LPS, entraîne Philippe Mendels dans une voie inédite. En utilisant des techniques expérimentales novatrices, ils font ensemble la découverte du pseudogap, une propriété fondamentale pour l’interprétation théorique de la supraconductivité. Puis ils continuent à travailler pendant dix ans sur les propriétés entièrement originales et si étranges du métal dont la supraconductivité est issue, « un bel exemple de problème en matière condensée où les électrons forment un état collectif : des électrons corrélés ».

Pour révéler les propriétés magnétiques du matériau supraconducteur, Philippe Mendels utilise la résonance magnétique nucléaire (RMN). « L’idée est de perturber à l’échelle atomique les plans de cuivre avec des impuretés non magnétiques, comme le zinc par exemple. » Le chercheur est aussi le premier à importer dans son équipe en France la technique novatrice de la résonance de spin des muons, acquise lors de son séjour à Vancouver. « La muSR est une technique analogue à la RMN mais au lieu d’utiliser les noyaux des atomes, elle implante des muons dans la matière pour y sonder les champs magnétiques. » Deuxième équipe française à utiliser cette technique, l’équipe du LPS acquiert d’un coup une renommée internationale dans ce domaine.

Un nouvel état de la matière

Au milieu des années 1990, Philippe Mendels décide avec son équipe de combiner des outils de la résonance magnétique et avec ceux de la muSR pour explorer le modèle d’Anderson de « frustration magnétique » sur des réseaux kagomé. Ces réseaux sont dénommés ainsi en raison de leur analogie avec le motif géométrique japonais. « Ce sont des structures magnétiques triangulaires aux sommets partagés, avec des interactions antiferromagnétiques qui imposent un anti-alignement des moments magnétiques. Il est impossible de satisfaire cette condition sur un triangle : si deux moments sont satisfaits, on dit que le troisième est « frustré », puisqu’il ne sait pas lequel des deux autres moments choisir pour s’aligner », explique le chercheur.

Japanese pattern Kagome Translation: Basket weaving eyes

En 2008, grâce à une expérience de muSR, Philippe Mendels et son collègue Fabrice Bert du LPS parviennent à sonder sur l’herbertsmithite les effets du concept de frustration à des températures proches du zéro absolu. Ce nouveau matériau, qui porte le nom du minéralogiste britannique Herbert Smith, est un composé kagomé à base de cuivre. Les deux chercheurs aboutissent à une seconde découverte majeure dans le domaine. « Contrairement aux composés magnétiques habituels qui s’ordonnent à basse température, nous avons mis en évidence que les mouvements de spin de ce composé persistent sans jamais s’ordonner, même à des températures très basses. Cette deuxième découverte a révélé pour la première fois un nouvel état de la matière : le « liquide de spin ». »

Une carrière récompensée

Parallèlement à ses activités de recherche, Philippe Mendels s’investit dans des fonctions de direction. Il dirige de 2015 à 2022 le Laboratoire d’excellence (LabEx) Physique, atomes, lumière, matière (PALM), regroupant 700 scientifiques issus d’une trentaine de laboratoires de l’Université Paris-Saclay. Il supervise également un réseau européen comprenant 300 scientifiques et financé par la European Science Foundation. En outre, il s’investit beaucoup dans l’enseignement à différents niveaux. Il a notamment été responsable de la maîtrise de physique et applications de l’université Paris-Sud. « Je me souviens aussi du cours sur la supraconductivité et le magnétisme que nous avions mis au point avec Albert Fert dans le cadre du magistère de physique fondamentale. Les étudiantes et étudiants étaient très curieux et avides de connaissances, ce qui rendait l’enseignement passionnant. » En 2013, il crée avec sa collègue physicienne Tiina Suomijärvi, le master international General Physics de l’Université Paris-Saclay.

Auteur de plus 140 publications scientifiques, Philippe Mendels est membre de l’Institut universitaire de France depuis 1998. En 2018, il obtient les palmes académiques et, quatre ans plus tard, est le lauréat du Grand Prix scientifique de la Fondation Charles Defforey de l’Académie des sciences. « Ce prix est une double reconnaissance : celle de mes pairs et celle de notre travail d’équipe, source d’une grande fierté et de joie partagées. » D’ailleurs Philippe Mendels continue aujourd’hui de participer aux recherches de son équipe. Sa motivation pour réaliser des investigations expérimentales et trouver de nouveaux concepts fondamentaux demeure intacte.

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