Aller au contenu

L’épopée Quandela : de la source de photons unique à l’ordinateur quantique

Issue du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Univ. Paris-Cité), la start-up Quandela, fondée en 2017, s’est petit à petit imposée comme pionnière dans le développement des ordinateurs quantiques photoniques. Retour sur la success story d’une start-up française spécialisée dans la mise au point de sources de lumière quantique.

En octobre 2023, la start-up Quandela livre son premier ordinateur quantique photonique MosaiQ à l’entreprise française OVHcloud, leadeuse de l’hébergement web en Europe. Si l’annonce fait grand bruit, à quoi correspond exactement un ordinateur quantique et en quoi diffère-t-il d’un ordinateur classique ? Quelles sont ses applications potentielles qui rendent son développement particulièrement attrayant ?

Pour le comprendre, il faut revenir à l’unité de base de l’information codée par les ordinateurs actuels dits classiques : le bit. Ce dernier stocke les données de façon binaire (0 ou 1) selon le passage ou non d’un courant électrique dans le circuit. Une suite de bits (soit une suite de 0 et de 1) fournit alors une information donnée, qui est transformée par des portes logiques – un circuit électronique composé de transistors modifiant la valeur de chaque bit – quand on fait tourner un programme informatique sur l’ordinateur.

L’équivalent quantique du bit, le qubit, est plus complexe. Il est porté par des objets quantiques (photons, atomes, supraconducteurs …) et son état est moins tranché que celui du bit. À la manière du fameux chat de Schrödinger, un qubit existe dans une superposition de deux états distincts (que l’on nomme 0 et 1 par analogie avec le bit), jusqu’à ce qu’on l’observe. Il se fige alors dans un état donné et l’on peut lire l’information qu’il porte. La superposition quantique fournissant une infinité de valeurs possibles pour le qubit, cela lui permet de manipuler l’information différemment et pour certains types de calculs, beaucoup plus efficacement.

Pour autant, à lui seul, le qubit est à peine plus intéressant qu’un bit puisque l’information supplémentaire qu’il porte reste inaccessible. Les qubits ne deviennent réellement intéressants que lorsqu’ils sont utilisés à plusieurs. Dans ce cas, ils peuvent être mis dans des états dits « intriqués », c’est-à dire- où l’état de l’un est parfaitement lié à l’état de l’autre. L’intrication démultiplie véritablement les possibilités de manipuler l’information. Un ordinateur basé sur ces qubits sera donc, en théorie, capable de traiter des calculs plus complexes et plus rapidement que les ordinateurs classiques, et de répondre à des questions encore irrésolues aujourd’hui. Ils donneront par exemple des prévisions météorologiques plus fiables qu’aujourd’hui ou aideront à modéliser de nouvelles molécules pharmaceutiques. Grâce à sa plus grande efficacité, l’ordinateur quantique viendra aussi diminuer le coût énergétique de très grands calculs.

Le rêve de l’ordinateur quantique

Cependant, le stade de l’avantage quantique, c’est-à-dire le fait d’avoir un ordinateur quantique plus performant qu’un ordinateur classique, n’est pas encore atteint. Il reste un certain nombre de défis à relever, notamment celui de la décohérence des qubits. En effet, par leur nature quantique, les qubits sont très sensibles à toute interaction avec l’environnement : la température, un champ électrique ou magnétique, ou le simple fait de les observer modifie leur état. Tout l’enjeu est de parvenir à créer un environnement très stable afin de minimiser le plus possible les erreurs dans les calculs réalisés par les ordinateurs quantiques, qui, à terme, devront aussi être capables de corriger les inévitables erreurs dues à l’environnement.

Une autre solution pour éviter d’accumuler des erreurs est de travailler avec des qubits qui ne subissent pas de décohérence : il s’agit de ceux basés sur les photons. Les photons présentent un autre avantage essentiel en reliant entre eux différents processeurs individuels. Car pour augmenter la puissance de traitement de données et espérer atteindre l’avantage quantique, il est nécessaire d’augmenter le nombre de qubits présents dans l’ordinateur. Cela implique d’installer plusieurs processeurs individuels, chacun porteur d’un nombre limité de qubits, mais intriqués par le biais de photons. L’intrication des différents processeurs rend dépendants les états quantiques de leurs qubits qui fonctionnent alors en un seul et même groupe. Disposer, au sein de chaque processeur, de qubits qui soient déjà portés par des photons présente donc un réel avantage. Pourtant, ces objets quantiques sont facilement absorbés, en conséquence facilement perdables, et il est nécessaire d’avoir une source efficace et fiable de photons uniques.

Une source de photons uniques et purs à l’origine de la start-up Quandela

Ce défi, Pascale Senellart-Mardon le relève au sein du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Univ. Paris-Cité), depuis le début des années 2000. Sa recherche s’intéresse notamment au développement de sources de photons uniques. Il s’agit de nanostructures semi-conductrices, appelées boites quantiques et composées de 10 000 atomes se comportant comme un seul et même atome. Le défi technique consiste à faire en sorte que les composants émettent des photons dans une seule direction, afin de les collecter dans une fibre optique. C’est l’étape de synthèse de ces composants qui est particulièrement délicate, car il faut réussir à contrôler précisément la position des émetteurs.

En 2008, Pascale Senellart-Mardon met au point une technique de fabrication de sources de photons uniques, capable de contrôler la position de ces sources. Son équipe montre l’efficacité de ces composants, également dotés d’une grande pureté quantique. Cette propriété essentielle pour le développement de technologies quantiques mesure à quel point l’état quantique du qubit est mixte ou non. La physicienne raconte : « Dès 2013, des scientifiques qui développaient des technologies quantiques ont commencé à faire appel à nous, car intéressés par nos composants. Puis, en 2016, on a commencé à être assaillis de demandes. » C’est à ce moment-là qu’avec Valérian Giesz (maintenant COO de Quandela) et Niccolo Somaschi (maintenant CEO de Quandela), alors respectivement doctorant et postdoctorant dans l’équipe, l’idée de créer une start-up se fait jour. Quandela nait en 2017. « Le but était de commercialiser ces composants pour en faire un vrai produit. Nous sommes très fiers aujourd’hui, parce qu’une grande partie des groupes de recherche qui développent les technologies quantiques à base de photons, en particulier l’ordinateur quantique, sont équipés de nos sources de lumière quantique », se réjouit la chercheuse du C2N, cofondatrice et maintenant CSO et conseillère scientifique de la start-up.

Du composant à l’ordinateur puis au software

En 2020, les cofondateurs décident d’élargir l’ambition de la société. Si jusque-là Quandela aidait les chercheurs et chercheuses à développer l’ordinateur quantique, ils envisagent cette année-là de développer eux-mêmes un tel ordinateur. Ils embauchent Shane Mansfield, spécialiste de l’algorithmique quantique, et Jean Senellart, informaticien expert en intelligence artificielle. Ils parviennent à rassembler au sein de Quandela toutes les compétences nécessaires à la production d’un ordinateur quantique, des composants aux software en passant par l’assemblage des machines.

En plus de livrer des ordinateurs à des industriels, ils créent ce qu’on appelle une ferme d’ordinateurs quantiques. La cofondatrice se félicite : « En 2023, nous sommes devenus la première société en Europe à mettre notre ordinateur quantique à 6 qubits sur le cloud. » Un cloud accessible aux industriels ou chercheurs qui veulent développer des programmes quantiques.

En même temps que d’avancer sur ses technologies, Quandela facilite leur prise en main par les utilisateurs et utilisatrices grâce à des softwares. Elle enseigne la façon d’utiliser un ordinateur quantique à toute entité qui fait des calculs complexes. Et bien que l’avantage quantique ne soit pas encore atteint, « il est important de tout développer en même temps et de ne pas s’enfermer essentiellement sur la technologie. Nous essayons de créer un écosystème en mettant de nouvelles fonctions au fur et à mesure sur le cloud, de nouvelles machines, de nouveaux algorithmes », déclare Pascale Senellart-Mardon. La start-up collabore notamment avec EDF pour le design d’algorithmes capables, à terme, de résoudre des problèmes de détection de fissures dans les barrages. Pour la chercheuse du C2N, Quandela atteindra bientôt le régime de l’utilité quantique, c’est-à-dire un régime où les calculs faits sur les machines quantiques apportent un avantage pratique à la réalisation de ces mêmes calculs sur des supercalculateurs.

Quandela, aujourd’hui et demain

Avec ses quelque 100 employés, Quandela s’est imposée comme actrice de poids dans le monde des ordinateurs quantiques, que ce soit au niveau national ou international. Depuis sa création, elle a livré des ordinateurs quantiques en France et au Canada. En juin 2023, elle a ouvert à Massy (Essonne) une usine dédiée à l’assemblage et au service en ligne des ordinateurs quantiques, soit la première usine de production d’ordinateur quantique en Europe. Au printemps 2024, elle a inauguré une salle blanche pour la production des sources de photons uniques. La start-up s’est aussi installée à l’étranger avec la création d’un centre à Munich en Allemagne et d’autres sont à venir en Corée et au Canada. Enfin, le 13 novembre dernier, la start-up a créé un laboratoire commun (LabCom) avec le C2N afin d’augmenter la synergie entre recherche académique et appliquée. Le but de ce LabCom, nommé QDLight, est de poursuivre les recherches sur le développement de nouvelles technologies directement applicables aux ordinateurs de Quandela.

Ses succès valent à Quandela d’être, en mars 2024, l’une des cinq start-ups lauréates du programme Proqsima de la Direction générale des armées (DGA). D’un montant total de 500 millions d’euros, ce programme a pour but de trouver des solutions pour atteindre l’avantage quantique. Grâce à ces nouveaux investissements, atteindre l’utilité quantique et l’ordinateur quantique universel à correction d’erreurs se font plus proches pour la start-up. Plus récemment encore, en octobre 2024, Quandela a été lauréate du prix « Breakthrough DeepTech Innovation » lors de la cérémonie de remise des prix de La French Tech en Allemagne. Un succès qui ne se dément donc pas.

Étiquettes:
fr_FRFrançais