
Les métaux peuvent être toxiques pour les organismes vivants. Les plantes en particulier peuvent avoir à faire face à la toxicité des métaux mais aussi, à l’inverse, à des carences nutritionnelles quand elles en manquent.
Entretien avec Sébastien Thomine
Directeur de recherche CNRS
Car certains métaux sont essentiels pour les organismes vivants qui déploient ainsi des stratégies pour en capter le plus possible, sans être cependant tout à fait capables de discerner les métaux essentiels dont ils ont besoin, comme le fer ou le zinc, d’autres comme le cadmium qui présentent un danger.
Sébastien Thomine étudie la biofortication en fer des plantes et la possibilité d’utiliser les processus de captation des métaux mis en œuvre par les plantes pour envisager la décontamination de sols pollués par des stratégies similaires.
Qu’est-ce que la biofortification ?
La biofortification est l’amélioration de la valeur nutritive des plantes utilisées comme aliments de base. Il s’agit d’augmenter la teneur et la biodisponibilité en minéraux, la richesse en vitamines et provitamines, en acides gras et en acides aminés.
Bien que présent en très faible quantité dans l'organisme le fer par exemple joue plusieurs rôles essentiels : il entre dans la composition de l’hémoglobine, la protéine qui constitue les globules rouges et transporte l’oxygène dans l’organisme ou fixe l’oxygène dans les muscles. Dans le cas où les besoins journaliers en fer ne sont pas couverts par une alimentation variée, le corps se retrouve en état de carence ; cette carence en fer est la première cause d'anémie, maladie du sang qui affecte le transport d'oxygène vers les organes. Autre exemple, le zinc, un oligoélément qui jour un rôle important dans la croissance, la réponse immunitaire, les fonctions neurologiques et reproductives.
L’alimentation est le principal vecteur d’apport en oligoéléments dans les organismes. C’est pourquoi un large pan de la biologie végétale est consacré aux processus de tri, de captation, de transport, de stockage, de synthèse des métaux par les plantes.
L’homéostasie des métaux, un équilibre subtil
On peut définir l’homéostasie des métaux par la régulation de leur teneur dans l'organisme. A de rares exceptions près les oligo-éléments ne circulent jamais dans l’organisme sous forme de molécules libres. Ils sont liés à des petites molécules (acides aminés, vitamines, protéines) capables de capter le métal à un endroit de l’organisme, de s’allier avec lui pour le transporter à un autre et le céder au tissu auquel il est destiné. De plus, des mécanismes de transfert mettant en jeu des protéines membranaires appelées transporteurs doivent permettre aux métaux de traverser les membranes des cellules à tous les moments du développement de la plante ou de l’organisme humain. Si le processus est défaillant, la plante est carencée. S’il est excessif la plante est intoxiquée. Le principe de l’homéostasie semble simple mais il fait intervenir des régulations complexes.
Cela s’applique d’autant plus aux métaux toxiques dont certains comme le cadmium sont extrêmement solubles et mobiles- davantage encore que le plomb- ce qui amplifie leur toxicité. Un des leviers pour biofortifier les plantes ou dépolluer les sols réside dans la compréhension des mécanismes de transport et de leur façon d’agir.
Des étapes clefs qui nous échappent encore
L’étude de l’acquisition du fer par les plantes a commencé il y a plus de 50 ans et depuis 20 ans, les recherches approfondissent la compréhension des mécanismes moléculaires, grâce aux progrès des techniques d’imagerie et de génomique.
Il reste plusieurs étapes clefs qui sont encore mal comprises, par exemple, on vient d’apprendre que l’acide ascorbique est important pour la pénétration du fer dans l’embryon contenu dans la graine mais on ne sait pas quel est le transporteur qui favorise ce processus.
On ne connait pas la nature moléculaire de la protéine qui permet de faire entrer le fer dans la graine, la partie la plus couramment consommée de la plante. On ne sait pas non plus comment s’effectue la remobilisation des métaux contenus dans les feuilles vers les graines au moment de la sénescence où les feuilles jaunissent avant de chuter au sol.
L’une des questions fondamentales est donc « où sont les métaux ? »
Pour y répondre, les progrès des techniques d’imagerie ou de spectroscopie à haute résolution permettent respectivement d’identifier la localisation précise et de déterminer l’environnement chimique de chaque métal, un paramètre pour déterminer la fraction qui peut être absorbée lorsque la plante est consommée (biodisponibilité). Ces approches font appel à de grands instruments comme le synchrotron SOLEIL et des expertises spécifiques disponibles dans le périmètre de l’Université Paris-Saclay
La recherche française est en position de leader sur les mécanismes fondamentaux liés au fer, en particulier grâce aux équipes de Montpellier extrêmement en pointe sur le sujet et qui rassemblent la plus grande concentration de chercheurs dans les Sciences du Végétal en France Les équipes de l’Université Paris-Saclay rassemblées dans d’Institut de Biologie Intégrative de la Cellule sont également reconnues pour leur expertise dans le domaine.
D’Arabidopsis au peuplier
Pour mener ces recherches, deux approches sont mise en œuvre : le travail sur des plantes directement liées à l’alimentation des populations, en particulier le riz ou l’orge, cibles majeures en raison de leur très large utilisation dans le monde.
Un autre approche privilégie l’approfondissement des connaissances sur des plantes modèles puis la transposition des acquis grâce à la collaboration dans des programmes pluridisciplinaires (Biologie-Santé, Informatique et Mathématiques, Chimie, Ecologie …). Cette dynamique permet le passage des données acquises sur des systèmes biologiques modèles vers des espèces et conditions d’intérêt agronomique, selon une approche dite de « biologie translationnelle ».
C’est le cas aujourd’hui par exemple avec l’utilisation des connaissances acquises chez Arabidopsis pour l’appliquer aux peupliers et identifier des filières de phytoremédiation, cette voie possible de décontamination des sols grâce aux plantes. Le peuplier est, en effet, une espèce forestière cultivée à très fort rendement particulièrement prometteuse pour ce type de débouchés : doté d’un réseau racinaire très profond et assez tolérant aux métaux. Les connaissances acquises chez Arabidopsis permettent d’analyser rapidement les mécanismes qui permettent au peuplier d’accumuler les métaux et de les séquestrer en disposant tout autour une sorte de cage moléculaire ou cellulaire, les rendant inoffensifs.
L’enjeu des recherches actuelles est d’identifier le plus finement possible et au niveau moléculaire quels sont les transporteurs qui gouvernent la diffusion des métaux du sol vers les racines, des racines vers le bois et les feuilles …. La finalité est d’être capable de développer des espèces de peupliers qui accumuleront les métaux toxiques dans « les bonnes parties » de la plante, plutôt le bois que les feuilles par exemple, pour éviter que ces polluants à l’état de trace soient relâchés dans l’environnement lorsque les feuilles tombent au sol.
L’autre pan d’applications possibles s’appuie sur la chimie verte et sur la possible extraction et le recyclage de ces métaux captés pour fabriquer des catalyseurs.
Ainsi, avec des objectifs très divers - décontamination des sols pollués par les métaux, sécurité alimentaire et aussi amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments ou du rendement agricole de sols carencés -, la recherche sur l’homéostasie des métaux articule ses efforts de la nutrition à la toxicité et vice versa. Un mouvement vertueux qui permettra demain d’identifier des solutions nouvelles pour nourrir la planète et la protéger.
Distribution des métaux dans la graine d’Arabidopsis : l’image obtenue par µPIXE (micro Particle Induced X-ray Emission) sur la sonde nucléaire du CEA de Saclay montre que les minéraux ne sont pas répartis de manière homogène dans les tissus de la graine : le calcium est concentré dans l’enveloppe, le fer autours des tissus conducteurs et le manganèse juste sous l’épiderme des futures feuilles (Schnell Ramos et al. 2013)
Quelques références :
Schnell Ramos M, Khodja H, Mary V, Thomine S (2013) Using μPIXE for quantitative mapping of metal concentration in Arabidopsis thaliana seeds. Front Plant Sci. 4:168. doi: 10.3389/fpls.2013.00168.
Thomine S, Vert G. (2013) Iron transport in plants: better be safe than sorry. Curr Opin Plant Biol. 16(3):322-7. doi: 10.1016/j.pbi.2013.01.003.
Clemens S, Aarts MGM, Thomine S, Verbruggen N (2013) Plant science: the key to reducing slow cadmium poisoning. Trends Plant Sci. 18(2):92-9. doi: 10.1016/j.tplants.2012.08.003.