Aurélien Marabelle est oncologue médical et professeur à l’Université Paris-Saclay. Il est responsable du Laboratoire de recherche translationnelle en immunothérapie (LRTI) au sein de l’unité Immunologie des tumeurs et immunothérapie contre le cancer (ITIC – Univ. Paris-Saclay/Inserm/Gustave Roussy). Distingué en 2023 en tant que Highly Cited Researcher, il consacre sa pratique aux essais cliniques de phase précoce sur les immunothérapies contre le cancer.
C’est à son stage de seconde, effectué par hasard auprès du Dr Éric Bérard dans un hôpital de la périphérie lyonnaise, qu’Aurélien Marabelle doit son goût pour la médecine. « Moi qui avais grandi dans un univers plutôt privilégié, j’ai été confronté à cette occasion à un monde très intense, notamment lors d’une consultation avec une jeune tétraplégique de mon âge », se souvient-il. Son bac en poche, il préfère toutefois ne pas rejoindre immédiatement la faculté de médecine. « J’avais envie de prolonger, quelques années encore, un équilibre entre mathématiques, biologie et sciences dures dans mes apprentissages », explique le chercheur.
Il entre alors en classes préparatoires scientifiques, intègre l’ENS Lyon, obtient une maîtrise de physiologie qui le mène un semestre au King’s College de Londres, et prend finalement en 1999 une passerelle qui lui fait rejoindre, en 3e année, le cursus de médecine. « C’est alors qu’a débuté pour moi une aventure passionnante qui, de stages en stages, de rencontres en rencontres, de Paris à Lyon, en passant par Clermont-Ferrand et Stanford, me mènera finalement à Gustave Roussy », indique Aurélien Marabelle.
Un moteur initial : mener une recherche au lit du patient ou de la patiente
Comme toute trajectoire de recherche, le parcours d’Aurélien Marabelle se construit autour de quelques moments forts, au premier rang desquels figurent son internat en pédiatrie à Clermont-Ferrand et son premier stage en cancérologie pédiatrique. « Plus que la pédiatrie à proprement parler, c’est plutôt l’idée de mener une recherche connectée au lit de la ou du malade qui a motivé mon choix d’internat. Un choix que je n’ai jamais regretté car il m’a amené à traiter deux cas de patients qui ont été décisifs dans la suite de mes recherches », explique l’oncologue.
Pour le premier cas, il s’agit d’une jeune fille de douze ans atteinte d’un double cancer (neuroblastome et leucémie myéloïde), guérie avec une allogreffe de moelle osseuse qui a permis de produire une réaction du greffon contre les deux cancers. « J’ai alors pris conscience de la puissance du système immunitaire pour lutter contre le cancer. » Le second cas est un bébé atteint d’un syndrome IPEX, une maladie auto-immune généralisée par l’absence de tolérance immunitaire. « Suivre ce bébé m’a fait saisir la puissance du système immunitaire dans sa toxicité, notamment contre les tissus sains, quand il est dérégulé, et de comprendre combien les lymphocytes T régulateurs sont clés dans la modulation de la réponse immunitaire. » Des années éprouvantes mais qui aident Aurélien Marabelle à préciser son objectif : faire de l’immunothérapie des cancers.
Un objectif : accompagner la révolution de l’immunothérapie
Fort de son nouvel objectif, Aurélien Marabelle décide, pendant son internat, de faire un DEA (aujourd’hui l’équivalent d’un master 2 de recherche) d’immunologie, avec un focus immunothérapie. Il rencontre le Pr Raphaël Rousseau, un français qui développe à Houston, aux États-Unis, des immunothérapies cellulaires anti-neuroblastomes appelées CAR-T Cells. « Nous étions en 2005, un moment où il y avait très peu de recherche en immunothérapie des cancers. C’est pourquoi, lorsque Raphaël m’a proposé de le rejoindre à Lyon, je n’ai pas hésité une seconde et suis parti finir à ses côtés mon internat de pédiatrie suivi de deux ans d’assistanat pour développer des CAR-T Cells anti-leucémie. »
Ces recherches, réalisées au sein d’un consortium européen, suscitent, contre toute attente, beaucoup de résistances de la part de leurs collègues français de l’époque et entrainent le départ du Pr Rousseau dans l’industrie pharmaceutique. « Lorsque j’en ai eu l’opportunité, en 2009, je suis parti en post-doc à l’Université Stanford, en Californie, au sein d’une équipe qui travaillait sur les anticorps immunomodulateurs. J’y ai vécu trois années extraordinaires, pleinement engagé dans cette révolution de l’immunothérapie qui battait son plein outre-Atlantique. »
L’enthousiasme du chercheur est un peu douché lorsque, de retour comme praticien hospitalier à Lyon en 2012, il réalise qu’il n’obtiendra pas beaucoup de soutien pour poursuivre ses recherches en immunothérapie. Commence alors pour lui ce qu’il qualifie de « traversée du désert », jusqu’à sa rencontre, en 2014, avec le Pr Jean-Charles Soria, alors chef du Département d’innovation thérapeutique et d’essais précoces (DITEP) à Gustave Roussy, et le Pr Alexander Eggermont, directeur général de l’institut. « L’alignement des planètes était parfait : je suis donc parti à Gustave Roussy où, depuis dix ans maintenant, je développe une recherche clinique et translationnelle en immunothérapie des cancers, dans le contexte particulier des essais cliniques de phase précoce où l’on met au point de nouveaux médicaments. »
Une méthode : la recherche translationnelle
Arrivé à Gustave Roussy, Aurélien Marabelle monte un laboratoire de recherche translationnelle en immunothérapie (LRTI) dont il est aujourd’hui responsable. « Notre ambition est de mieux comprendre la résistance à l’immunothérapie – pourquoi certaines patientes et certains patients, un sur cinq environ, ont des réponses magnifiques à l’immunothérapie voire sont même guéris de leur cancer métastatique, tandis que d’autres n’y répondent pas –, et de développer de nouveaux médicaments pour mieux traiter les patientes et patients plus tôt dans l’histoire de la maladie. Pour ce faire, notre approche consiste, à partir de prélèvements de patientes et patients, à essayer de comprendre ce qui se passe avant et pendant que l’immunothérapie est administrée, ou inversement, à partir de nos résultats de recherche, à revenir vers le ou la patiente avec de nouveaux médicaments et essais cliniques », explique l’oncologue.
REMISSION : vers plus de personnalisation des traitements
Cette ambition se concrétise avec le programme de recherche REMISSION soutenu par les investissements d’avenir France 2030. Piloté par Aurélien Marabelle, ce programme a pour objectif d’utiliser des tissus frais (sang total, biopsie tumorale) comme source de biomarqueurs afin d’adapter les nouvelles stratégies d’immunothérapies à la biologie des patientes et patients et de leur cancer. « Il faut savoir que dans près de 95 % des essais cliniques, on traite les patientes et patients à l’aveugle, sans savoir si elles ou ils expriment ou non la cible des médicaments, alors même que l’on a des thérapies ciblées. Cette limite s’explique par la mauvaise valeur prédictive et les nombreuses semaines nécessaires à l’analyse des tissus congelés ou fixés utilisés en routine, ne permettant pas une prise en charge personnalisée des personnes », explique Aurélien Marabelle. C’est cela que promet de changer REMISSION, grâce à une innovation développée par le LRTI et favorisant un travail en routine sur des prélèvements frais, la génération de données en quelques heures et le rendu de résultats sensibles et spécifiques. « Nous espérons ainsi accélérer la recherche clinique en ouvrant de nouvelles cohortes et parvenir à une meilleure personnalisation des traitements », conclut Aurélien Marabelle.