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Anne Davaille : au cœur de la dynamique des planètes

Anne Davaille est directrice de recherche CNRS au laboratoire Fluides, automatique et systèmes thermiques (FAST – Université Paris-Saclay/CNRS). Physicienne de formation, la chercheuse est spécialisée dans l’étude des fluides complexes appliquée à l’évolution du cœur des planètes. Cette expertise unique au monde, au carrefour de la physique et de la planétologie, l’a menée à des découvertes majeures et à des collaborations prestigieuses.

Anne Davaille se passionne pour les secrets de la formation de la Terre dès son plus jeune âge. Enfant, elle assiste, fascinée, à une conférence de Maurice et Katia Kraft, de célèbres volcanologues français : « mon premier contact avec la théorie de la tectonique des plaques, alors toute récente », se souvient la chercheuse. Trois ans plus tard, cette théorie est d’ailleurs confirmée par l’expédition franco-américaine « FAMOUS » (French American Mid Ocean Underwater Survey) sur le rift médio-Atlantique.

Anne Davaille s’engage dans des études en physique, obtenant à la fin des années 80 le diplôme d’ingénieur de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI) et le master 2 de physique des liquides de l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université). Puis, guidée par sa passion, elle décide de mener une thèse « à cheval entre mécanique des fluides et géophysique », sous la direction de Claude Jaupart à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Fin 1991, elle part à l’Université Yale effectuer un post-doctorat. Elle y retourne ensuite à de très nombreuses reprises durant une période de huit années pour y réaliser ses expériences. En janvier 1993, Anne Davaille est recrutée au CNRS et dix ans plus tard, elle devient directrice de recherche et obtient, en 2004, son habilitation à diriger des recherches (HDR).

Une passion pour les phénomènes telluriques

La planète Terre renferme bien des secrets. Son cœur est métallique et est entouré d’un épais manteau rocheux puis d’une fine couche d’océans et d’atmosphère. Or le contrôle de l’évolution d’une planète, née chaude dans un univers froid, se fait par son refroidissement, donc par les mouvements brassant son manteau : le bas du manteau, plus chaud et léger, remonte tandis que sa surface, plus froide et dense, redescend. C’est ce que l’on nomme la convection thermique, moteur de la tectonique des plaques. « Le manteau rocheux terrestre est solide à notre échelle mais en réalité il se déforme à une vitesse comparable à celle à laquelle poussent nos ongles. C’est lent, mais pas tant que cela à l’échelle des milliards d’années d’une planète », détaille Anne Davaille.

Les roches ont une autre particularité : elles sont beaucoup plus rigides et cassantes à la surface froide d’une planète qu’en profondeur. « Ainsi, au lieu de se déformer continûment comme un miel, la surface de Mars est immobile et très ancienne, tandis que celle de la Terre est découpée en plaques qui se forment aux dorsales océaniques, coulissent les unes par rapport aux autres (c’est la tectonique des plaques), avant de replonger dans le manteau (ce qu’on nomme subduction). »

Loin d’être homogène, chaque plaque évolue en permanence au gré des séismes et des éruptions volcaniques. Mais pourquoi une plaque se casse-t-elle sur Terre et pas sur Mars ?« C’est ce qui nous occupe depuis quinze ans ! » répond la chercheuse, qui collabore notamment avec Christiane Alba-Simionesco, physico-chimiste au Laboratoire Léon Brillouin (LLB – Univ. Paris-Saclay/CEA/CNRS), et Hélène Massol, planétologue au laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Univ. Paris-Saclay/CNRS) pour tenter « de comprendre comment la rhéologie de la plaque dépend de sa structure et de son histoire ».

Une recherche aux interfaces de plusieurs sciences

Les recherches d’Anne Davaille se situent donc à l’intersection de la mécanique des fluides et de la planétologie. « Les physiciens me considèrent comme une géophysicienne et les géophysiciens comme une physicienne », s’amuse-t-elle. En 2008, elle rejoint le laboratoire Fluides, automatique et systèmes thermiques (FAST – Université Paris-Saclay/CNRS) avec pour principal objectif d’étudier les différents régimes de convection dans des fluides complexes et comprendre la dynamique de l’intérieur des planètes. Le laboratoire est en effet spécialisé dans les écoulements des fluides, qu’ils soient purement liquides ou du domaine de la « matière molle », comme c’est le cas du ketchup, du gel pour cheveux ou de la lave des volcans. « Ces fluides adoptent un comportement tantôt solide, tantôt liquide, selon l’échelle de temps, de contrainte et d’espace à laquelle on les observe. »

Une expertise unique

« J’ai commencé par étudier la convection des fluides dont la viscosité dépend fortement de la température, comme les sirops de sucre, puis des fluides hétérogènes. Une fois qu’on a obtenu la compréhension physique, les lois d’échelle basées sur les expériences de laboratoire et la théorie, l’objectif est de substituer aux paramètres du laboratoire les données observées sur les planètes, comme Vénus, ou sur des exoplanètes, et prédire ainsi leur régime actuel, leur bilan de chaleur et leur évolution », raconte la chercheuse.

Ses recherches lui ont permis d’identifier de nouveaux régimes de convection et des géométries spécifiques, notamment en lien avec les panaches mantelliques responsables du volcanisme de points chauds, comme à Hawaï ou à La Réunion. Ces résultats, publiés en 1999 dans un article de la revue Nature dont elle est l’unique auteure, l’aident plus tard à proposer, avec des collègues de l’IPGP, une classification des points chauds terrestres.

Une collaboration avec la NASA

Anne Davaille étudie d’autres phénomènes, comme la subduction. Comment démarre-t-elle ? Au FAST, avec son groupe, la chercheuse réalise des expériences dans des colloïdes. En simulant à la fois le chauffage basal (générant des panaches) et le refroidissement superficiel, « j’ai observé un régime où un panache déclenche la subduction autour de sa zone d’impact. Bien que peu probable sur Terre actuellement, cette observation a trouvé un écho inattendu lors d’une conférence en 2010 ». Suzanne Smrekar, de la NASA, y évoque en effet des structures similaires observées sur Vénus, les « coronæ », présentant à la fois des signes de panaches et de subduction. Les deux chercheuses entament une collaboration qui aboutit à une publication conjointe dans Nature Geosciences, en 2017. Suite à cela, Anne Davaille devient co-investigatrice de la mission VERITAS de la NASA, un orbiteur qui doit partir cartographier Vénus en 2031. « Mon rôle consiste à modéliser les processus physiques à l’intérieur de la planète et à fournir un cadre d’analyse qui servira à interpréter les nouvelles données. Pour cela, nous avons besoin de faire des expériences, que notre laboratoire est le seul au monde à réaliser, combinant convection, rhéologie complexe et observation des signatures de surface des phénomènes profonds. »

Soutenus dès 2009 par le Programme national de planétologie de l’INSU-CNRS-CNES et le projet ANR PTECTO, puis par le LabEx PALM et divers projets européens, les travaux de la géophysicienne se font actuellement dans le cadre du projet SOFT-PLANET (Convection et transferts dans une planète texturée partiellement fondue, du stade de l’océan magmatique à la convection à l’état solide actuelle), lauréat d’une bourse ERC Advanced Grant et démarré en juillet 2023.

Distinguée une première fois en 2019 par la médaille Augustus Love de l’European Geosciences Union pour ses recherches en géodynamique, Anne Davaille l’a été une deuxième fois en 2020 : elle a été nommée fellow de l’American Geophysical Union. Ces deux récompenses la confortent dans ses choix : avoir su, en dépit des obstacles, concilier vies familiale et professionnelle, et s’être engagée dans des recherches audacieuses. Aujourd’hui, la chercheuse nourrit l’espoir que ses travaux atypiques et uniques au monde inspireront la jeune génération de chercheurs et chercheuses.

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