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La découverte du boson de Higgs fête ses dix ans

Recherche Article publié le 07 octobre 2022 , mis à jour le 07 octobre 2022

(Cet article est extrait de L'Édition n°19).

En 2012, les chercheurs et chercheuses du Centre européen de recherche nucléaire (Cern) font sensation en annonçant la découverte du boson de Higgs, ultime particule élémentaire. Dix ans après, quelles sont les conséquences d’un tel événement pour la physique des particules ? Les physiciennes et physiciens de l’Université Paris-Saclay répondent.

« Je pense que nous l’avons. » Le 4 juillet 2012, au siège du Cern à Genève, le directeur général du centre international de recherche Rolf-Dieter Heuer annonce par ces mots, devant une immense assemblée, la découverte d’une nouvelle particule subatomique, dont les quelques caractéristiques alors connues l’apparentent, avec une très grande fiabilité, au boson théorisé par Peter Higgs en 1964. Le chercheur britannique, présent en Suisse lors de l’annonce de la découverte du boson qui porte aujourd’hui son nom, reçoit d’ailleurs en 2013 le prix Nobel de physique pour ses travaux ayant amené à la découverte de cette nouvelle particule.

L’annonce de juillet 2012 fait l’effet d’un tremblement de terre dans la communauté scientifique, car elle vient valider la théorie décrivant les particules et la matière. « C’est la dernière pièce de ce qu’on appelle le modèle standard de la physique des particules », explique Sébastien Descotes-Genon du Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab – Univ. Paris-Saclay, Univ. Paris Cité, CNRS).

« S’il n’y avait pas ce champ, tout irait à la vitesse de la lumière »

Le physicien théoricien de l’IJCLab développe : « Ce modèle résulte de la vision, acquise depuis près de 50 ans, de ce qu’est la matière aux échelles les plus petites actuellement sondées. Aujourd’hui, nous sommes à même de répondre à la question “De quoi la matière est-elle faite ?”, par un très petit nombre de particules que nous appelons des fermions ». Parmi ces fermions, les spécialistes différencient les quarks, au nombre de six, des leptons (dont font par exemple partie les électrons), au nombre de six également. À ces particules, les scientifiques associent également trois interactions fondamentales, nécessaires à la construction de la matière : l’interaction électromagnétique et deux interactions à l’échelle subatomique : les interactions forte et faible.
« Jusque dans les années 1990, nous avons fait l’inventaire de toutes les particules élémentaires, de leurs interactions et de leurs comportements, tout en les incluant dans un cadre cohérent. Nous avons eu besoin pour cela d’une description unifiée des interactions électromagnétique et faible. Beaucoup de travaux théoriques ont été effectués en ce sens, développe Sébastien Descotes-Genon. Mais lorsque nous avons essayé de trouver une description cohérente de l’ensemble des interactions électromagnétiques et faibles, il nous a fallu ajouter un “ingrédient supplémentaire” dans le modèle standard : le boson de Higgs. » Plus précisément, c’est le champ de Higgs qui est la clé du modèle standard et qui explique comment les interactions électromagnétiques et faibles, bien que très différentes en apparence, sont deux facettes d'une seule et même interaction. C'est en fournissant assez d’énergie à un champ que l'on crée une excitation qui, à l’instar d’une vague sur la mer, se propage et interagit avec son environnement, correspondant à une particule observable. C’est ainsi que, pour confirmer leur théorie du modèle standard de la physique des particules, les physiciennes et physiciens ont, des années durant, exploré sans relâche le champ de Higgs, à la recherche d’une excitation significative correspondant au précieux boson.

Construit sous terre entre la Suisse et la France et en fonctionnement depuis 2008, le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider ou LHC) du Cern est aujourd’hui encore l’accélérateur de particules le plus puissant et le plus étendu du monde. Dès son origine, il porte en lui l’espoir de toute la communauté d’un jour observer le boson de Higgs. « Le LHC a été construit en partie pour observer les phénomènes aux échelles d’énergie auxquelles nous attendions la présence du boson de Higgs, ou sinon de quelque chose d’autre reliant les interactions faible et électromagnétique. Il a été conçu de manière à effectuer des collisions de particules à des énergies suffisantes pour exciter le champ de Higgs, créer la particule du boson et permettre l’étude de sa désintégration », précise Sébastien Descotes-Genon. Car en effet, ce n’est pas le boson de Higgs à proprement parler qu’observent les scientifiques depuis sa découverte en 2012, mais les particules dans lesquelles celui-ci se désintègre. « L’annonce du 4 juillet 2012 fait référence à l’observation, sur plusieurs canaux de désintégration, d’évènements se produisant à des énergies similaires qui ne sont pas simplement du bruit de fond. Nous savons donc, avec un certain niveau de confiance statistique, que cela correspond à un phénomène physique propre », détaille le chercheur.

« Le champ de Higgs est partout. Contrairement à d’autres champs, et c’est ce qui en fait sa spécificité, il a pour propriété de perturber et de “ralentir” la propagation des autres particules. S’il n’y avait pas ce champ, rien n’aurait de masse et tout irait à la vitesse de la lumière », poursuit le physicien de l’IJCLab.

Le boson à Paris-Saclay

Depuis dix ans maintenant, les chercheurs et chercheuses du monde entier s’attèlent à caractériser le boson de Higgs de manière toujours plus précise. Les collaborations internationales A Toroidal LHC Apparatus (ATLAS) et Compact Muon Solenoid (CMS) sont toutes deux historiquement liées au boson de Higgs et à son étude. Ce sont d’ailleurs des scientifiques de ces deux expériences qui ont annoncé la découverte de la particule en 2012. Dès lors, l'objectif des deux groupes a été de mesurer toutes les propriétés possibles du boson de Higgs. « D’abord des choses “simples”, comme sa masse ou son spin (propriété quantique décrivant notamment la sensibilité au champ électromagnétique), mais également la fréquence des différents modes de production du boson de Higgs et de ses désintégrations », énumère Sébastien Descotes-Genon.

Dans cette optique, de nombreux laboratoires rattachés à l’Université Paris-Saclay participent depuis à l’effort scientifique international autour du développement de systèmes d’accélération de particules. Les détecteurs utilisés par ATLAS sont en partie conçus, testés et assemblés à l’IJCLab, tandis que l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu – Univ. Paris-Saclay, CEA) a participé au développement des détecteurs pour ATLAS et CMS. Les deux laboratoires participent également aux réflexions autour de futurs accélérateurs de particules.

« Le groupe du CEA Paris-Saclay joue un rôle essentiel dans la calibration de l’énergie des photons en participant de manière importante à la conception du calorimètre électromagnétique, qui détecte les électrons et les photons et mesure leur énergie, explique Julie Malclès, responsable du groupe CMS au Département de physique des particules de l'Irfu. Le boson de Higgs se désintègre notamment en deux photons. Ce canal diphoton est idéal pour observer le boson, car il nous permet d’accéder à ses quatre modes de production principaux, avec une bonne sensibilité. Nous avons participé à de nombreuses études via ce canal, comme le couplage entre le boson et le quark top. » Outre la formation et la désintégration du boson de Higgs, l’équipe de Julie Malclès souhaite également améliorer la précision des différentes mesures caractéristiques de la particule : « nos travaux visent à diminuer les incertitudes sur les mesures de propriétés du boson. Pour cela, l’amélioration des méthodes d’analyse, avec par exemple des stratégies basées sur l’intelligence artificielle, joue un rôle très important. L’augmentation du nombre de collisions étudiées est aussi cruciale pour réduire les incertitudes statistiques. Elle passera par une refonte de l’accélérateur, pour engranger plus de collisions, et aussi par une jouvance des détecteurs, avec des améliorations drastiques de performance ».

« Nous sommes nombreux à l’IJCLab et à l’Institut de physique théorique (IPhT – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA) à mener des réflexions théoriques autour des résultats, notamment pour déterminer l’espace des possibles », complète Sébastien Descotes-Genon, avant de conclure. « Quelles sont les hypothèses alternatives au modèle standard encore viables ? », s’interroge le physicien.


Publications
The ATLAS Collaboration. A detailed map of Higgs boson interactions by the ATLAS experiment ten years after the discovery. Nature 607, 52–59 (2022).

The CMS Collaboration. A portrait of the Higgs boson by the CMS experiment ten years after the discovery. Nature 607, 60–68 (2022).